Introduction
Toute démocratie repose sur un principe fondamental : le pouvoir doit être limité. Cette limitation s’incarne dans des mécanismes de contrôle mutuel — ou checks and balances — qui assurent que nul organe de l’État ne devienne tout-puissant. À ces contrepoids institutionnels s’ajoute un principe tout aussi essentiel : la transparence, sans laquelle les citoyens ne peuvent ni juger leurs gouvernants ni participer activement à la vie publique.
Ce sixième article examine comment les États-Unis et le Canada structurent leurs mécanismes de contrôle démocratique, qu’il s’agisse des comités parlementaires, des agents de surveillance, des institutions indépendantes ou des médias. Nous mettons aussi en lumière les fragilités qui, dans chaque système, peuvent ouvrir la porte à la dérive autoritaire.
Les États-Unis : des contrepoids puissants, mais vulnérables à la polarisation
Le système américain a été conçu dès l’origine pour éviter la concentration du pouvoir. L’indépendance des branches exécutive, législative et judiciaire est contrebalancée par un système de contrôle mutuel.
Contrepoids clés :
- Le Congrès : il détient le pouvoir de mettre en œuvre les lois, de contrôler le budget fédéral, d’enquêter sur l’exécutif et, en dernier recours, de lancer une procédure de destitution.
- Les comités d’enquête : puissants et parfois très médiatisés (ex. : l’affaire Watergate ou les enquêtes sur le 6 janvier 2021), ils peuvent convoquer des témoins et obtenir des documents.
- Les agences indépendantes : le Government Accountability Office (GAO), l’Office of Special Counsel et d’autres vérifient la légalité et la performance des programmes fédéraux.
- La presse : souvent qualifiée de « quatrième pouvoir », elle joue un rôle central dans la surveillance du pouvoir, parfois au péril de sa propre crédibilité en période de polarisation.
Failles du modèle américain :
- Obstruction partisane : lorsque le Congrès est divisé, les enquêtes peuvent devenir des outils politiques.
- Non-respect des convocations : en pratique, les membres de l’exécutif peuvent ignorer les assignations à comparaître, affaiblissant le pouvoir d’enquête.
- Attaques contre les médias : la remise en question de leur légitimité affaiblit leur rôle de contre-pouvoir.
Le Canada : des mécanismes moins visibles, mais souvent plus stables
Le Canada repose sur un système parlementaire dans lequel le pouvoir exécutif dépend de la confiance de la Chambre des communes. Cela crée une responsabilité directe du gouvernement devant les élus.
Contrepoids clés :
- Le Parlement : les périodes de questions, les débats en Chambre et les comités permettent de scruter l’action gouvernementale.
- Les agents du Parlement : des institutions comme le Vérificateur général, le Commissaire à l’éthique, le Directeur parlementaire du budget ou le Commissaire à l’information jouissent d’une indépendance fonctionnelle et d’un mandat clair.
- Les commissions d’enquête publique : elles peuvent être déclenchées pour faire la lumière sur des enjeux systémiques (ex. : GRC, soins de longue durée, interférence étrangère).
- Les médias publics et privés : bien que moins confrontés à la politisation qu’aux États-Unis, ils jouent un rôle actif dans l’éclairage des enjeux publics.
Failles du modèle canadien :
- Centralisation du pouvoir exécutif : le contrôle exercé par le cabinet du premier ministre sur les députés et les comités peut neutraliser les contre-pouvoirs internes.
- Discipline de parti : elle limite la capacité des députés à critiquer leur propre gouvernement.
- Nomination politique des agents : bien que structurées, les nominations peuvent parfois susciter des soupçons de partialité.
Comparaison des contrepoids institutionnels – États-Unis vs Canada
| Contrepoids institutionnels
|
États-Unis | Canada |
| Indépendance du pouvoir législatif | Forte (séparation des pouvoirs) | Faible (fusion exécutif/législatif) |
| Comités parlementaires | Puissants, mais souvent polarisés | Moins visibles, souvent contrôlés par l’exécutif |
| Agents de surveillance | Multiples agences indépendantes (GAO, Inspecteurs généraux, etc.) | Agences indépendantes bien établies (ex. : commissaires, vérificateurs généraux) |
| Médias | Très diversifiés, mais fortement polarisés | Moins polarisés, mais vulnérables aux pressions économiques |
| Culture de transparence | Forte historiquement, en déclin récent | Bonne, mais dépend fortement du gouvernement en place |
Transparence : une condition fragile de la démocratie
La transparence, dans les deux pays, est à géométrie variable. Si l’accès à l’information est garanti par la loi, les obstacles administratifs, les documents caviardés, les délais excessifs ou le secret ministériel peuvent en limiter la portée.
De plus, la complexité croissante des décisions politiques et la multiplication des plateformes d’information rendent plus difficile une compréhension citoyenne éclairée. Le danger est double : soit les citoyens se désengagent, soit ils se tournent vers des discours simplificateurs, souvent populistes.
Conséquences pour la gouvernance démocratique
Des contrepoids efficaces et une transparence réelle sont indispensables pour prévenir les dérives autoritaires. Quand le pouvoir exécutif peut gouverner sans véritable surveillance, la tentation de contourner les règles s’accroît.
Aux États-Unis, la fragilité réside dans la polarisation partisane, qui empêche parfois les institutions de jouer leur rôle de garde-fou. Au Canada, le risque vient d’une culture politique qui tolère une trop grande concentration du pouvoir autour du premier ministre et d’un certain désintérêt citoyen pour la vie parlementaire.
Conclusion
La démocratie n’est pas qu’une question d’élections libres : c’est aussi la capacité de contrôler ceux qui exercent le pouvoir entre deux scrutins. Les contrepoids institutionnels et la transparence ne sont pas des accessoires, mais des piliers du contrat démocratique.
Dans le prochain article, nous examinerons le rôle d’un acteur crucial pour le bon fonctionnement des marchés et la confiance dans le système économique : la SEC (Securities and Exchange Commission) aux États-Unis et les autorités réglementaires au Canada. Nous verrons comment leur indépendance — ou leur capture — influence la gouvernance.