La performance des sociétés canadiennes contrôlées inscrites au S&P/TSX


 

Voici le sommaire exécutif du document « La performance des sociétés
canadiennes contrôlées inscrites au S&P/TSX : les effets favorables d’une vision à long terme sur les considérations environnementales, sociales et
sur le rendement des actionnaires »

Ce document a été réalisé par François Dauphin, MBA, CPA, président-directeur général de IGOPP.

Bonne lecture !

 

Entreprises familiales et COVID, quelles tendances pour le monde d'après ?

 

Les entreprises familiales constituent l’assise fondamentale des économies de marché. Ces entreprises sont souvent empreintes d’une culture forte ancrée dans les valeurs du fondateur, et cette culture se développe, s’affermit au fil du temps, parfois même au-delà des premières générations qui se succèdent à la direction de la société familiale.

Ces sociétés ont tendance à prendre des décisions en fonction d’un horizon à long terme, en considération de l’ensemble de leurs parties prenantes et de l’environnement, car il est naturel pour ces sociétés de vouloir s’assurer
que les conditions futures demeureront favorables. C’est l’essence-même d’une création de valeur durable.

Au fil de leur croissance, les plus grandes de ces entreprises ont éventuellement dû faire un appel à l’épargne public. Soucieux de maintenir le contrôle sur les activités de l’entreprise, d’y conserver une culture qui reflète les valeurs à la source des succès passés de la société, ces entrepreneurs-fondateurs souhaitaient préserver le caractère unique
de leur entreprise et assurer leur capacité de continuer à insuffler leur vision à long terme malgré la présence de nouveaux actionnaires, anonymes et changeants pour la plupart.

En vertu des impératifs qui leur étaient propres au moment de l’introduction en bourse de leur entreprise, certains entrepreneurs-fondateurs n’avaient pas la possibilité de lever les fonds requis sans diluer leur participation en-deçà du niveau nécessaire au maintien du contrôle, ou ne souhaitaient pas que ce risque se matérialise éventuellement. Ils ont alors fait appel à des mécanismes leur assurant le maintien du contrôle, notamment par l’utilisation de différentes classes d’actions (DCA) conférant à chacune des droits particuliers (multiples droits de vote pour l’une des classes, par exemple, ou des droits exclusifs de nomination de membres au conseil d’administration de façon à en maintenir une majorité).

Que le contrôle soit exercé par une participation directe ou par le recours à une structure DCA, ces sociétés sontfréquemment ciblées par des catégories d’investisseurs qui jugent que leur gouvernance est déficiente, du moins
selon les balises établies pour les entreprises ayant un actionnariat diffus (sans actionnaire de contrôle). Ces critiques sont souvent encore plus acerbes à l’endroit des sociétés DCA, en raison du contrôle exercé sans une participation économique à la hauteur des droits exclusifs de nomination ou encore du pourcentage des votes exercés. Plusieurs groupes de pression militent fortement pour l’élimination de toute forme de structure DCA.

Ces critiques sont-elles justifiées ? Est-ce que la performance économique, sociale et environnementale à long terme des sociétés canadiennes contrôlées inscrites en bourse vient sanctionner cette perception de « mauvaise gouvernance » ?

Ces sujets, âprement débattus sur les différentes tribunes en gouvernance, ont également fait l’objet de beaucoup de recherches dans les cercles académiques. Car si des voix s’élèvent contre le maintien du contrôle par des actionnaires fondateurs et leur famille, d’autres se font de plus en plus entendre afin de permettre à de nouvelles générations d’entrepreneurs d’utiliser des structures DCA. Plusieurs pays ont récemment revu leurs règles afin de les autoriser sur leurs principales places boursières, et d’autres – comme la France ou l’Allemagne – considèrent sérieusement le faire dans un proche avenir.

Notre étude vise dans un premier temps à situer le débat et à faire une synthèse des conclusions et résultats provenant des recherches les plus récentes. Ensuite, nous avons comparé la performance des sociétés canadiennes contrôlées appartenant à l’indice S&P/TSX à celle de sociétés canadiennes à actionnariat diffus issues du même groupe. Les comparaisons ont porté autant au niveau des scores ESG (performance Environnementale, Sociale et en termes de scores de Gouvernance) que du rendement total pour les actionnaires sur des périodes de 5 et 10 ans.

De façon générale, à la suite de la revue approfondie des études récentes, celles-ci tendent à confirmer :

  •  Un effet favorable du maintien du contrôle sur la capacité d’innovation des firmes et une meilleure qualité d’information financière (incluant l’utilité prédictive des données) divulguée par les sociétés contrôlées ;
  • Une plus importante longévité des firmes contrôlées comparativement à leurs homologues à une action-un vote ;
  • Un engagement plus prononcé des firmes contrôlées par des familles envers les critères sociaux et environnementaux, et que cet engagement était observable bien avant que l’investissement qualifié de « responsable » ne devienne une dimension incontournable et donc bien avant la popularité de l’acronyme « ESG » ;
  • Qu’il n’y a aucun appui péremptoire à l’hypothèse que les structures DCA nuisent à la valeur de l’entreprise ;
  • Que les sociétés canadiennes contrôlées, incluant celles avec une structure DCA, montrent des rendements totaux pour les actionnaires à long terme supérieurs à ceux de leurs homologues à actionnariat diffus ;
  • Que les actions des sociétés contrôlées tendent à afficher une volatilité moins grande, et offrent donc un niveau de risque inférieur pour les investisseurs ;
  • Que devant l’évidence de résultats financiers supérieurs pour les sociétés avec DCA, le débat s’est déplacé de plus en plus vers l’imposition de clauses crépusculaires visant à restreindre le maintien du contrôle à un horizon temporel prédéterminé. À cet égard, les discussions sont davantage
    de nature théorique et difficilement appuyées de façon empirique. Néanmoins, on retient de l’argumentaire que la volonté de maintien de contrôle repose d’abord et avant tout sur la capacité de donner et d’exécuter une vision à long terme à l’organisation, et que l’imposition d’une limite de temps – surtout rapprochée – vient s’opposer à cette qualité première de facto.

Notre propre étude comparative a également permis de dégager plusieurs constats :

• Au niveau de la performance de l’action, nos résultats appuient ceux des études recensées et démontrent que les sociétés contrôlées canadiennes du S&P/TSX affichent un rendement total pour les actionnaires à long terme supérieur à leurs homologues non contrôlées ;

• Après comparaison d’échantillons de sociétés appariées selon le système de classification des industries, les sociétés contrôlées canadiennes du S&P/TSX affichent un meilleur indice de risque ESG non géré que leurs pairs non contrôlés, et ce, malgré le fait que l’indice soit biaisé en défaveur des sociétés contrôlées ;

• On observe que, depuis plus d’une dizaine d’années, et plus particulièrement lors de l’année de référence 2021, les sociétés contrôlées canadiennes du S&P/TSX affichent un score environnemental « E » supérieur à celui des sociétés non contrôlées ;

• En aucun temps depuis 10 ans peut-on affirmer que les sociétés non contrôlées sont supérieures aux sociétés contrôlées en matière de rendement social selon le score « S » ;

• Sans véritable surprise, puisque le fait d’être contrôlé (particulièrement à l’aide d’une structure DCA) a une conséquence négative sur la mesure « G » des différents scores, les sociétés contrôlées sont évaluées – selon le catéchisme des agences de mesure de la gouvernance – comme étant moins bien gouvernées que leurs pairs à actionnariat diffus. L’effet net du score « G » sur les scores combinés ESG vient biaiser les résultats totaux et dépeint une image défavorable et injuste des sociétés contrôlées.

La revue exhaustive des études empiriques récentes et les résultats de notre analyse dans un contexte canadien sont éloquents : ils n’appuient pas les velléités des catégories d’investisseurs militant pour l’élimination des structures DCA, ni leur approche quasi dogmatique en la matière. Au contraire, les constats devraient sécuriser les investisseurs et les parties prenantes des sociétés contrôlées.

Malgré tous les avantages constatés, on considère plusieurs de ces sociétés contrôlées comme étant mal gouvernées selon les scores qui leur sont octroyés, et le fait de maintenir le contrôle par un mécanisme DCA, cette « tare », se reflète aussi dans leur score global ESG. Pourtant, il serait juste que la qualité de la gouvernance soit corrélée au rendement à long terme et à la bonne performance auprès des parties prenantes (volets E et S), ce qui n’est pas observé avec les scores actuels.

Il s’avère extrêmement difficile de mesurer le niveau de qualité de la gouvernance d’une société par un score obtenu en fonction d’une grille standardisée. Pour l’évaluer correctement, il faudrait être en mesure de capter toute la finesse de la dynamique d’un groupe, la compétence intrinsèque de chacun des membres du conseil, l’intelligence et la sagesse collective des administrateurs, leur compréhension commune du modèle d’affaires, leur capacité à faire preuve de courage au moment opportun, etc. On a élaboré des standards de « bonne gouvernance » qui peuvent se mesurer simplement, des paramètres édictés au fil des ans comme étant chacun des facteurs qui peuvent contribuer à une meilleure gouvernance mais qui ne se substituent pas à la gouvernance elle-même.

Nous croyons qu’il serait important de dissocier le facteur « G » des facteurs sociaux et environnementaux dans l’évaluation de la performance des sociétés contrôlées. La gouvernance doit être évaluée en fonction des
caractéristiques propres à chacune de ces entreprises et il existe possiblement autant de modèles de bonne gouvernance qu’il y a d’entreprises, mais chacune doit adopter la gouvernance qui lui convient et qui démontrera son efficacité, sa capacité à créer de la valeur à long terme. Le rendement total pour les actionnaires à long terme, tout comme la performance sociale et environnementale, sont des conséquences de l’efficacité du modèle de
gouvernance en place.

L’importance des sociétés familiales contrôlées pour l’économie canadienne est indéniable. Le fait qu’elles aient une longévité supérieure et des retombées importantes auprès de toutes les parties prenantes, qu’elles se montrent préoccupées par les questions environnementales et qu’elles investissent en ayant un horizon temporel qui s’étend parfois au-delà de plusieurs générations, constitue une qualité supplémentaire qui devrait inciter les gouvernements et autres autorités réglementaires à faire en sorte de conserver et encourager ce modèle.

Il ne faut pas se laisser distraire par le discours de tierces parties qui souhaitent imposer un délai à une vision, un terme aux valeurs qui ont permis à des sociétés de s’enraciner pleinement dans leurs communautés.