Régulation des marchés et gouvernance : la SEC, les autorités canadiennes et le pouvoir exécutif


Introduction

Dans toute démocratie moderne, la stabilité économique repose sur un pilier souvent discret, mais essentiel : la régulation des marchés financiers. Les agences de surveillance, comme la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis ou les autorités réglementaires provinciales au Canada veillent à l’intégrité des marchés, à la transparence des sociétés cotées, et à la protection des investisseurs.

Mais au-delà de leur mission technique, ces institutions jouent aussi un rôle politique fondamental : elles constituent des contrepoids au pouvoir exécutif, des garants de la prévisibilité économique, et des sentinelles contre les dérives autoritaires qui pourraient instrumentaliser les marchés pour des objectifs politiques ou idéologiques.

Ce septième article explore les structures, les forces, les vulnérabilités et les effets démocratiques de la régulation financière en Amérique du Nord.

Gouvernance d'entreprise et Valorisation - Xval

La SEC : pilier réglementaire sous pression

Créée en 1934 à la suite de la crise de 1929, la SEC a pour mandat de protéger les investisseurs, de maintenir l’équité des marchés, et de faciliter la formation du capital.

Missions :

  • Veiller à la transparence des marchés financiers (disclosure).
  • Sanctionner les délits d’initié, la fraude comptable et les pratiques trompeuses.
  • Superviser les agences de notation, les courtiers et les bourses.

Forces :

  • Indépendance formelle : la SEC est une agence indépendante du gouvernement fédéral.
  • Pouvoir d’enquête et de sanction : elle peut intenter des poursuites civiles, imposer des amendes et interdire l’activité de certains acteurs.
  • Accès à des données confidentielles : elle dispose d’un levier d’analyse de l’information financière unique.

Faiblesses :

  • Capture réglementaire : plusieurs critiques dénoncent l’influence excessive de Wall Street sur la SEC, en raison notamment des portes tournantes entre la finance et la régulation.
  • Instabilité politique : les présidents nomment les commissaires, ce qui peut conduire à une politisation du leadership (ex. : Trump vs Biden).
  • Attaques idéologiques : certains partis cherchent à réduire le champ d’action de la SEC au nom de la déréglementation économique.

La conséquence est un affaiblissement potentiel de l’autorité réglementaire, au moment même où les marchés exigent davantage de transparence sur les enjeux climatiques, les critères ESG, et la gouvernance d’entreprise.

Le Canada : régulation provinciale, coordination fédérale

Contrairement aux États-Unis, le Canada n’a pas d’autorité fédérale unique de régulation des marchés. Ce sont les provinces qui exercent cette fonction, par l’entremise d’organismes comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), ou la BC Securities Commission.

Particularités :

  • Modèle fédéral décentralisé : les lois sur les valeurs mobilières relèvent des provinces.
  • Organisation coopérative : les régulateurs provinciaux collaborent à travers le Conseil canadien des responsables de la réglementation des valeurs mobilières (CCRVM).
  • Tentatives d’harmonisation : le projet d’une Autorité canadienne de réglementation des marchés de capitaux (ACRMC) a échoué devant la Cour suprême du Canada, qui a réaffirmé l’autonomie des provinces.

Forces :

  • Proximité du terrain : les autorités provinciales sont souvent plus proches des entreprises et des marchés locaux.
  • Moins politisées : elles subissent moins directement les pressions des gouvernements centraux.
  • Culture de surveillance proactive : notamment au Québec, où l’AMF joue un rôle exemplaire en matière de régulation prudente et de protection du consommateur.

 Faiblesses :

  • Fragmentation : la multiplicité des régulateurs crée des disparités d’application et des complexités réglementaires.
  • Moins de moyens que la SEC : les agences provinciales ont des ressources moindres et une portée plus limitée.
  • Coordination lente : en cas de crise boursière, une réponse fragmentée peut poser problème.

 Tableau comparatif

Critère États-Unis — SEC Canada — Autorités provinciales
Portée Nationale et centralisée Provinciale et fragmentée
Mandat Surveillance des marchés financiers Surveillance des valeurs mobilières
Nomination des dirigeants Par le président américain Par les gouvernements provinciaux
Indépendance Formelle, mais politisée Élevée, mais variable selon la province
Capacité de sanction Élevée (poursuites, amendes, interdictions) Moyenne à élevée, selon les juridictions
Coordination fédérale Forte et institutionnalisée Faible, fondée sur la coopération volontaire
Risques Politisation, capture de l’élite financière Fragmentation, inégalité de régulation

Rôle dans la gouvernance démocratique

Les agences de réglementation financière, bien qu’elles soient peu connues du grand public, sont essentielles au maintien d’un système démocratique sain.

  • Elles assurent l’intégrité économique et la protection des investisseurs ;
  • Elles limitent les abus de pouvoir économique, souvent liés à des dynamiques politiques ;
  • Elles fournissent des données et des sanctions impartiales, indépendantes de la volonté du gouvernement.

Mais lorsqu’elles sont politisées ou capturées par des intérêts privés, ces agences peuvent devenir des outils de domination ou d’instrumentalisation au service du pouvoir exécutif ou des élites économiques.

Dans une logique autoritaire, il y a tendance à vouloir contrôler ou à neutraliser ces organismes afin d’imposer une vision économique centralisée, d’affaiblir les mécanismes de reddition de compte ou de favoriser des acteurs économiques « loyaux ».

Conclusion

La SEC et les autorités canadiennes de régulation des marchés illustrent deux modèles distincts, chacun avec ses forces et ses fragilités. Leur efficacité repose sur un équilibre délicat entre indépendance, responsabilité et transparence.

Protéger ces institutions, c’est protéger une part fondamentale de la gouvernance démocratique : la capacité de l’État à encadrer l’économie sans se soumettre à elle… ni l’instrumentaliser à des fins politiques.

Le prochain article se penchera sur un enjeu très concret pour les citoyens : les contraintes réglementaires et la gouvernance économique. Comment les règles, les normes et les interventions de l’État influencent-elles la liberté d’action et la justice sociale ?

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Auteur : Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé

Ce blogue fait l’inventaire des documents les plus pertinents et récents en gouvernance des entreprises. La sélection des billets, « posts », est le résultat d’une veille assidue des articles de revue, des blogues et sites web dans le domaine de la gouvernance, des publications scientifiques et professionnelles, des études et autres rapports portant sur la gouvernance des sociétés, au Canada et dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Europe, et en Australie. Chaque jour, je fais un choix parmi l’ensemble des publications récentes et pertinentes et je commente brièvement la publication. L’objectif de ce blogue est d’être la référence en matière de documentation en gouvernance dans le monde francophone, en fournissant au lecteur une mine de renseignements récents (les billets quotidiens) ainsi qu’un outil de recherche simple et facile à utiliser pour répertorier les publications en fonction des catégories les plus pertinentes. Jacques Grisé est professeur titulaire retraité (associé) du département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Il est détenteur d’un Ph.D. de la Ivy Business School (University of Western Ontario), d’une Licence spécialisée en administration des entreprises (Université de Louvain en Belgique) et d’un B.Sc.Comm. (HEC, Montréal). En 1993, il a effectué des études post-doctorales à l’University of South Carolina, Columbia, S.C. dans le cadre du Faculty Development in International Business Program. Il a été directeur des programmes de formation en gouvernance du Collège des administrateurs de sociétés (CAS) de 2006 à 2012. Il est maintenant collaborateur spécial au CAS. Il a été président de l’ordre des administrateurs agréés du Québec de 2015 à 2017. Jacques Grisé a été activement impliqué dans diverses organisations et a été membre de plusieurs comités et conseils d'administration reliés à ses fonctions : Professeur de management de l'Université Laval (depuis 1968), Directeur du département de management (13 ans), Directeur d'ensemble des programmes de premier cycle en administration (6 ans), Maire de la Municipalité de Ste-Pétronille, I.O. (1993-2009), Préfet adjoint de la MRC l’Île d’Orléans (1996-2009). Il est présentement impliqué dans les organismes suivants : membre de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ), membre du Comité des Prix et Distinctions de l'Université Laval. Il préside les organisations suivantes : Société Musique de chambre à Ste-Pétronille Inc. (depuis 1989), Groupe Sommet Inc. (depuis 1986), Coopérative de solidarité de Services à domicile Orléans (depuis 2019) Jacques Grisé possède également une expérience de 3 ans en gestion internationale, ayant agi comme directeur de projet en Algérie et aux Philippines de 1977-1980 (dans le cadre d'un congé sans solde de l'Université Laval). Il est le Lauréat 2007 du Prix Mérite du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) et Fellow Adm.A. En 2012, il reçoit la distinction Hommage aux Bâtisseurs du CAS. En 2019, il reçoit la médaille de l’assemblée nationale. Spécialités : Le professeur Grisé est l'auteur d’une soixantaine d’articles à caractère scientifique ou professionnel. Ses intérêts de recherche touchent principalement la gouvernance des sociétés, les comportements dans les organisations, la gestion des ressources humaines, les stratégies de changement organisationnel, le processus de consultation, le design organisationnel, la gestion de programmes de formation, notamment ceux destinés à des hauts dirigeants et à des membres de conseil d'administration.

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