Introduction
Dans une démocratie libérale, la gouvernance économique repose sur un principe de base : la liberté d’entreprendre doit coexister avec des règles destinées à encadrer les excès, protéger les citoyens et préserver le bien commun. Mais la frontière entre un État régulateur et un État interventionniste suscite d’importants débats — d’autant plus qu’une dérive autoritaire peut se nourrir, paradoxalement, d’un discours anti-réglementaire… ou d’une régulation instrumentalisée à des fins politiques.
Ce huitième article explore les contraintes réglementaires et les formes de gouvernance économique aux États-Unis et au Canada, en s’attardant aux logiques qui orientent les politiques publiques, aux différences d’approche, et aux tensions entre performance économique, justice sociale et préservation de l’environnement.

États-Unis : un discours de déréglementation enraciné, mais un État puissant
Depuis les années Reagan, la politique économique américaine est marquée par une rhétorique de déréglementation : moins d’intervention de l’État, plus de pouvoir au marché, responsabilisation individuelle. Ce discours a nourri une méfiance envers les agences fédérales, vues par certains comme une entrave à la liberté économique.
Paradoxe :
- D’un côté, les États-Unis disposent d’un vaste appareil réglementaire : SEC, FDA (alimentation et médicaments), EPA (environnement), OSHA (santé et sécurité au travail), etc.
- De l’autre, les administrations républicaines ont fréquemment réduit le budget ou l’autorité de ces agences, au nom de l’efficacité économique ou de la souveraineté des États fédérés.
Dynamiques autoritaires :
- Contournement des régulations par des décrets exécutifs (ex. : suspension de normes environnementales).
- Ciblage d’agences jugées politiquement hostiles (ex. : tentative de démantèlement de l’EPA).
- Usage sélectif de la réglementation pour favoriser des groupes amis ou punir des opposants (ex. : menaces contre des entreprises critiques).
La gouvernance économique aux États-Unis est donc marquée par une tension constante entre idéologie de libre marché et pouvoir exécutif fort, ce qui crée un terrain fertile aux glissements autoritaires déguisés en « réformes de simplification ».
Canada : un État régulateur stable, mais contesté
Au Canada, la tradition réglementaire est plus stable et acceptée socialement. L’État joue un rôle central dans la régulation de l’économie, la protection des consommateurs, et la promotion de la justice sociale, notamment à travers les normes fiscales, environnementales et sociales.
Caractéristiques du modèle canadien :
- Gouvernance partagée entre les paliers fédéral et provinciaux : la fiscalité, l’environnement, la santé et le travail relèvent souvent de juridictions croisées.
- Approche proactive : l’État agit souvent par la planification, les consultations, et l’harmonisation des normes (ex. : normes environnementales pancanadiennes).
- Culture réglementaire robuste, soutenue par des institutions publiques indépendantes (ex. : Conseil canadien des normes, Commissariat à l’environnement).
Enjeux démocratiques :
- Déficit de participation citoyenne : les politiques réglementaires sont souvent décidées par les fonctionnaires, éloignant les citoyens du processus.
- Tensions fédérales-provinciales : certaines provinces rejettent les interventions fédérales (ex. : taxe carbone), alimentant des récits populistes de résistance à Ottawa.
- Poids du lobbying : bien que moins intense qu’aux États-Unis, l’influence des groupes économiques demeure significative.
Le Canada dispose d’un appareil réglementaire cohérent, mais sa légitimité repose sur la transparence, l’inclusion, et l’équilibre entre efficacité administrative et justice sociale
Tableau comparatif
| Aspect | États-Unis | Canada |
| Vision de l’État | Minimaliste, orienté vers le marché | Actif, orienté vers la cohésion sociale |
| Culture réglementaire | Méfiance, perçue comme une contrainte | Acceptée comme outil d’équité |
| Niveaux de régulation | Fédéral + États, souvent en conflit | Fédéral et provinces : une collaboration plus organisée |
| Risques autoritaires | Capture, contournement, instrumentalisation | Centralisation, technocratisme |
| Capacité de réforme | Forte, mais instable | Stable, mais parfois lente |
Contraintes réglementaires et gouvernance démocratique
Les contraintes réglementaires ne sont pas des entraves à la liberté ; elles sont des garanties de justice, de sécurité et de durabilité. Lorsqu’elles sont conçues de manière transparente, fondées sur des données probantes, et mises en œuvre de façon équitable, elles renforcent la légitimité démocratique.
En revanche, dans un contexte autoritaire :
- La réglementation peut devenir un outil de punition sélective ;
- Les normes peuvent être affaiblies pour favoriser des intérêts privés ;
- La déréglementation peut affaiblir les contre-pouvoirs et laisser les citoyens sans protection.
C’est dans ce cadre que le rôle des institutions de gouvernance devient central : leur indépendance, leur transparence et leur capacité à arbitrer entre libertés économiques et droits collectifs sont des indicateurs clés de la santé démocratique d’un régime
Conclusion
La gouvernance économique repose sur un équilibre délicat entre liberté et encadrement. Trop peu de régulation ouvre la porte à l’anarchie économique ou à la domination des puissants ; trop de régulation, mal conçue, peut conduire à l’inefficacité ou à l’abus de pouvoir.
Ni le modèle américain ni le modèle canadien n’est exempt de tensions. L’un privilégie l’initiative individuelle, mais se heurte à l’instabilité institutionnelle ; l’autre valorise la régulation concertée, mais court le risque d’une technocratie éloignée des citoyens.
Dans le prochain article, le neuvième de la série, nous aborderons une dimension centrale de toute gouvernance : le bien-être social. Comment les politiques publiques américaines et canadiennes façonnent-elles la qualité de vie des citoyens, et que nous disent-elles du rapport entre démocratie et solidarité ?