Le bien-être social comme indicateur de gouvernance démocratique


Introduction

Le bien-être social n’est pas seulement un objectif moral : c’est une manifestation concrète du type de gouvernance qu’un État choisit d’adopter. L’accès à des soins de santé, à l’éducation, à la sécurité du revenu et à un environnement sain est un droit dans certains pays, un privilège dans d’autres. Ces choix ne sont pas neutres. Ils traduisent des valeurs collectives et reflètent le degré d’engagement de l’État envers ses citoyens.

Ce neuvième article, d’une série de dix, analyse les politiques sociales aux États-Unis et au Canada, non seulement à travers les dépenses publiques, mais aussi en lien avec la confiance institutionnelle, l’égalité des chances et la capacité d’une société à protéger ses plus vulnérables — des marqueurs essentiels d’une gouvernance démocratique responsable.

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États-Unis : individualisme, fragmentation et inégalités

Le système social américain repose sur une philosophie libérale centrée sur la responsabilité individuelle et la méfiance envers l’État providence. Cette approche engendre une fragmentation institutionnelle, des filets de sécurité faibles et une dépendance accrue envers le secteur privé.

Santé :

  • Système mixte dominé par les assurances privées.
  • Medicare (pour les personnes âgées) et Medicaid (pour les plus pauvres) sont sous-financés et inégalement accessibles.
  • L’Affordable Care Act (Obamacare) a amélioré la couverture, mais fait l’objet de contestations continues.
  • Conséquence : près de 30 millions d’Américains n’ont toujours pas d’assurance maladie.

Éducation :

  • L’éducation publique est en grande partie financée localement, principalement par les impôts fonciers perçus par chaque district scolaire (school district).
  • L’accès aux études supérieures est freiné par l’endettement massif des étudiants (environ 1,7 trillions $ de dette étudiante).

Sécurité du revenu :

  • Le salaire minimum fédéral n’a pas été augmenté depuis 2009.
  • Le soutien aux familles, aux chômeurs ou aux personnes handicapées est souvent conditionnel, partiel et peu généreux.

Impacts :

  • Taux de pauvreté relativement élevé, même chez les travailleurs.
  • Inégalités structurelles croissantes (notamment raciales) dans la qualité de l’éducation, selon l’endroit où l’on habite.
  • Méfiance envers les institutions sociales, terrain propice à la désinformation et aux discours populistes.

Canada : État providence universel, mais sous pression

Le modèle canadien repose sur une tradition d’État providence modéré, fondé sur l’universalité des services, une fiscalité progressive et la reconnaissance des droits sociaux.

Santé :

  • Système public universel financé par l’État.
  • Accès équitable, peu de barrières financières pour les citoyens.
  • Tensions actuelles : délais d’attente, manque de personnel, déséquilibres interprovinciaux.

Éducation :

  • Éducation publique gratuite jusqu’au cégep. Environ 92,1 % des élèves fréquentent des écoles publiques, assurant un accès large et équitable à l’éducation.
  • Universités financées en partie par l’État, avec des droits de scolarité relativement faibles (surtout au Québec).
  • Environ 57 % des adultes possèdent un diplôme d’études postsecondaires, ce qui place le pays au premier rang mondial.
  • Bonnes performances dans les évaluations internationales (ex. : tests PISA).

Sécurité du revenu :

  • Assurance-emploi, programmes d’aide sociale et crédits d’impôt pour les familles.
  • Système de pensions publiques pour les retraités et les aînés (RPC, PSV).
  • Programmes de soutien aux enfants, proches aidants, et personnes en situation de handicap.

Forces :

  • Taux de pauvreté plus bas, surtout chez les aînés et les enfants.
  • Confiance relativement élevée dans les institutions publiques.
  • Moindre polarisation sur les questions sociales.

Défis :

  • Coût croissant des services.
  • Inégalités régionales et autochtones.
  • Pressions pour privatiser ou restreindre certains services (notamment, en santé).

Tableau comparatif

Domaine États-Unis Canada
Système de santé Privé, fragmenté, inégal Public, universel, sous tension
Éducation Inégalité et endettement élevé Équitable, soutenu par l’État
Filet de sécurité Partiel, conditionnel Large, universel ou ciblé
Fiscalité Moins redistributive Plus progressive
Taux de pauvreté Élevé (env. 12—13 %) Plus faible (env. 8—9 %, < 5 % au Québec)
Inégalités Très élevées Moins marquées
Confiance institutionnelle Moyenne, polarisée Assez élevée, stable

Lien entre bien-être et gouvernance démocratique

Le niveau de bien-être social influence directement :

  • La stabilité politique : une population en détresse est plus vulnérable aux discours extrêmes.
  • La cohésion sociale : les politiques universelles favorisent la solidarité intergénérationnelle et interculturelle.
  • La participation citoyenne : la confiance dans les institutions encourage le vote, l’engagement et le respect du contrat social.

Les systèmes de protection sociale sont donc bien plus que des dispositifs administratifs : ils sont le reflet d’une vision du pouvoir, de ses responsabilités, et du type de société que l’on souhaite construire.

 Conclusion

Le bien-être collectif est un indicateur puissant de la qualité démocratique d’une nation. Aux États-Unis, la gouvernance repose sur un marché roi et une protection sociale minimale, avec des conséquences profondes sur l’égalité et la cohésion.

Le Canada, avec ses institutions sociales plus robustes, démontre qu’un État actif peut soutenir la démocratie sans l’étouffer — à condition d’éviter les excès de centralisation ou d’exclusion.

Le dixième, et dernier article de la série, portera sur les relations internationales : nous y verrons comment les choix de gouvernance intérieure influencent la posture diplomatique d’un pays, ses alliances et sa crédibilité mondiale.