Notre pays méconnaît largement un mode de gouvernance répandu dans le reste de l’Europe. Au Danemark, en Suisse, en Allemagne, de grandes entreprises industrielles et commerciales sont couramment détenues par des fondations.
Et le modèle s’avère durable et vertueux. Pourquoi ?
Quelles sont les spécificités des fondations actionnaires ?
Les voici résumées autour de 10 mots clés.
Qu’en est-il au Québec ? Ce sera le sujet d’un autre billet.
Bonne lecture !
Découvrez les « fondations-actionnaires » (et leurs atouts) en 10 points-clé

INDUSTRIE
Ikea, Lego, Rolex, Bosch, Carlsberg : ces marques sont mondialement connues. Mais parmi leurs millions de clients, combien connaissent leur autre particularité ? Les groupes industriels à l’origine de ces « success stories » sont, depuis longtemps, tous la propriété de… fondations ! Pourtant, faire rimer économie et philanthropie ne va pas de soi, et le terme même de « fondation actionnaire » peut paraître un oxymore. Car la philanthropie s’accorde a priori avec le « don », et l’actionnariat avec l’investissement.
Le terme n’est d’ailleurs pas stabilisé, et ne correspond à aucun statut juridique propre dans les pays étudiés : les Suisses parlent de « fondation entrepreneuriale » ou de « fondation économique», les Danois évoquent les « fondations commerciales », et les anglosaxons les « industrial fondations ». Chez nos voisins, industrie et philanthropie vont assurément de pair.
MAJORITAIRE
La fondation actionnaire, telle que nous la traitons dans cette étude, désigne une fondation à but non lucratif, propriétaire d’une entreprise industrielle ou commerciale. Elle possède tout ou partie des actions, et la majorité des droits de vote et/ou la minorité de blocage.
Ce qui n’empêche donc pas les entreprises concernées d’être en partie cotées en bourse (les fondations actionnaires représentent 54% de la capitalisation boursière de Copenhague).
Dès lors, plusieurs fondations, qui certes détiennent des actions d’entreprises, sortent du champ de cette étude, notamment celles qui ont décidé de filialiser des activités connexes à leur objet, en créant des sociétés (une fondation culturelle qui, par exemple, crée une maison d’édition).
FAMILLES
Les fondations actionnaires sont essentiellement des histoires de familles, d’engagement personnel, comme les nombreux cas de cette étude en témoignent.
Dans un esprit de résistance (La Montagne), avec la volonté de protéger et développer un patrimoine industriel (Bosch), ou avec le souhait d’articuler des engagements humanistes avec une transmission sereine de l’entreprise en absence d’ayant droits (Pierre Fabre), chaque histoire est celle d’un homme, d’une famille qui se projette dans le long terme, avec la volonté de perpétuer une culture d’entreprise singulière, dans une double approche économique et sociétale.
PHILANTHROPIE
Cette transmission est, en soi, un acte de philanthropie majeur. Car les propriétaires font don de leurs titres à une structure créée à cet effet, et renoncent donc aux gains, le cas échéant substantiels, d’une vente avec plus-value. Ils sont philanthropes.
Mais la philanthropie s’exprime aussi, et surtout, dans les dons des fondations, rendus possibles par les dividendes perçus et/ou les intérêts des dotations.
Par exemple, les fondations actionnaires donnent plus de 800 millions d’euros par an au Danemark (seul pays où des études aussi précises existent) et la fondation Novo Nordisk représente, à elle seule, 120 millions d’euros. Sa dotation est telle qu’elle pourrait continuer à vivre sans même percevoir de dividendes !
INTÉRÊT GÉNÉRAL
Au Danemark, la première mission des fondations actionnaires est majoritairement de protéger et de développer l’entreprise ; la seconde, de soutenir une cause culturelle et/ou sociale.
La double mission économique et philanthropique est parfaitement assumée et le rôle de gestion de l’entreprise, prioritaire. Maintenir le patrimoine industriel dans ce petit pays, conserver des fleurons industriels, protéger l’emploi sont considérés comme des sujets d’intérêt général.
Ce n’est pas le cas en France, où intérêt général et activité commerciale ne vont pas facilement de pair. Le principe de spécialité impose en effet aux fondations françaises d’avoir une mission exclusivement d’intérêt général, qui, dans une vision encore assez restrictive, ne peut être économique.
Quant à l’Allemagne, il n’est pas obligatoire d’avoir une mission d’intérêt général pour créer une fondation, a fortiori une fondation actionnaire. Comme le dit le célèbre banquier privé Thierry Lombard, les fondations actionnaires soulèvent des questions non seulement « de loi, mais d’idéologie ».
GOUVERNANCE
C’est le sujet clé. Dans les pays étudiés, et selon le droit national, deux modes de gouvernance prédominent :
1. soit une gestion directe de l’entreprise par la fondation, qui suppose une double finalité pleinement assumée et un conseil d’administration capable de prendre des décisions économiques et philanthropiques à la fois ;
2. soit une gestion indirecte, avec une distinction nette des instances de gouvernance de l’entreprise et de la fondation, via la création d’une société holding intermédiaire. Le droit et la fiscalité sont souvent complexes et variables d’un pays à l’autre : nous avons fait appel à d’éminents spécialistes nationaux pour nous décrire leur « état du droit ».
Notons que dans les fondations actionnaires, la succession des dirigeants n’est pas un sujet aussi sensible qu’ailleurs. La question se règle en général longtemps à l’avance, au niveau de la fondation.
RESPONSABILITÉ SOCIALE
Cette performance globale n’est pas une série de bonnes actions, mais un engagement stratégique d’une entreprise, qui se préoccupe de sa contribution économique, sociale et sociétale à son environnement.
Les entreprises les plus avancées ont compris que leur intérêt particulier rencontrait ici l’intérêt général, pour peu qu’elles ne restent pas les yeux rivés sur une gestion à court terme.
Alors que la pratique de la RSE est devenu de plus en plus un exercice imposé, et trop souvent l’instrument de directions de la communication, la fondation actionnaire place, par nature, la responsabilité sociale et l’approche de long terme au coeur de sa stratégie : dans une forme de fertilisation croisée, fondation et entreprise intrinsèquement liées, s’influencent.
LONG TERME
À un monde économique de plus en plus instable et à court terme, la fondation actionnaire oppose un modèle d’actionnariat stable et durable. La menace de prédateurs est évacuée, puisque toute tentative d’OPA hostile est impossible, et une vision de long terme, dont la redistribution de dividendes n’est pas l’unique préoccupation, oriente la stratégie.
TROISIÈME VOIE
Cette aventure, les tenants de l’économie positive et les philosophes de l’économie altruiste seraient prêts à la tenter. Car intrinsèquement les fondations actionnaires devraient faire consensus : elles allient la création de valeur économique à la force du don, au service d’une économie durable et d’une cohésion sociale renforcée.
C’est pourquoi il est si important de défricher cette troisième voie qui, en France, n’est encore qu’un sentier. La fondation actionnaire peut contribuer à faire émerger un nouveau capitalisme, plus altruiste et durable. Ce paysage pour les générations à venir, beaucoup l’appellent de leurs voeux.
EFFICACITÉ
Mais peut-on conjuguer gouvernance philanthropique et efficacité économique ? Les quelques études scientifiques (voir le panorama danois) existantes tendraient à le prouver : les performances des entreprises propriétés de fondations sont meilleures que celles où l’actionnariat est dispersé*. Le phénomène est comparable dans les sociétés familiales.
D’un point de vue social, ce type d’entreprises semble mieux traverser les crises conjoncturelles. Les dirigeants peuvent en effet s’appuyer sur une meilleure implication de leurs collaborateurs, rassurés par la stabilité de l’actionnariat.
Enfin, à l’heure où les cadres sont à la recherche de sens dans leur vie professionnelle, les valeurs promues par les fondations leur donnent une bonne raison de s’investir dans l’entreprise.
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*Comparatif de l’efficacité des fondations actionnaires (colonne de droite), face aux entreprises à l’actionnariat dispersé (colonne de gauche), et aux entreprises à l’actionnariat familial (colonne du centre) (en anglais)
Source: Steen Thomsen, « Corporate ownership by industrial foundations »)
On constate que les fondations-actionnaires ne sous-performent jamais les autres types d’entreprises. Selon Steen Thomsen, auteur de l’étude dont est tirée le tableau (« Corporate Ownership by Industrial Foundations« ), « les fondations-actionnaires présentent un taux de rentabilité et de croissance comparable aux entreprises classiques, mais avec un niveau de sécurité financière bien plus élevé » (comme le montre le ratio « equity/assets » de 47 au lieu de 36 pour les entreprises à l’actionnariat dispersé, et 38 pour les entreprises familiales).
Une réflexion sur “Qu’est-ce qu’une fondation-actionnaires ? | Dix points-clé”