Éthique, démission et parachutes dorés | une délicate alchimie


Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé  par Ivan Tchotourian*, professeur en droit des affaires de la Faculté de droit de l’Université Laval, entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels.

Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants de l’hiver 2016 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise.

Cette publication numérique entend contribuer au partage des connaissances en gouvernance à une large échelle. Le présent billet expose le résultat des recherches de Margaux Mortéo et de Léonie Pamerleau sur les liens entre la rémunération des dirigeants, les effets de la démission du PDG et les questions éthiques sous-jacentes.

Dans le cadre de ce billet, les auteurs reviennent sur l’affaire Volkswagen, notamment sur la légitimité des parachutes dorés dans les cas de démission « obligée ». Ils se questionnent également sur les valeurs éthiques dans de tels cas.

Bonne lecture ! Vos commentaires sont appréciés.

 

Éthique, démission et parachutes dorés | une délicate alchimie

par

Margaux Mortéo et Léonie Pamerleau

 

La légitimité des parachutes dorés : Le cas de Volkswagen

Volkswagen, une entreprise automobile leader sur le marché, a fait face à l’un des plus gros scandales dans ce secteur[1]. À la suite de la découverte des tricheries utilisées par la firme afin de commercialiser des véhicules diesel tout en cachant leurs effets polluants, le PDG de Volkswagen (Martin Winterkorn) a décidé le 23 septembre 2015 de démissionner de son poste. Or, cette démission, qui s’inscrit dans un processus quasi habituel des dirigeants face à de telles circonstances, ne semble pas si légitime au regard de certains aspects en raison de l’énorme parachute doré, aussi appelé golden parachute. Cela soulève en effet plusieurs aspects, notamment la responsabilité d’un dirigeant face à des dégâts causés à l’environnement et ce que cela engendre au regard de la réputation de l’entreprise, « actif stratégique le plus important sur le plan de la création de valeur » [2].

Une démission en quête de légitimité ?

Cette pratique est loin d’être un cas isolé. En juillet dernier, le PDG de Toshiba (Hisao Tanaka) a démissionné de ses fonctions suite à un scandale comptable [3]. Cette pratique démontre une quête de légitimité de la part des puissants dirigeants de sociétés. La raison est simple : ces derniers semblent entachés d’une immunité du fait de leur position, mais décident cependant de céder leur place pour le bien-être de leur entreprise, en portant sur leurs épaules le poids de l’entière responsabilité. Martin Winterkorn a même déclaré que son départ avait pour but de permettre à Volkswagen de « (…) prendre un nouveau départ ».

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Cette décision, très médiatisée, tente de redorer l’image de l’entreprise, sans compter le fait que le PDG n’a pas tout perdu dans l’affaire.

L’étonnante attribution d’un parachute doré confortable

Démissionner semble honorable, mais quand Martin Winterkorn a la garantie d’obtenir près de 28,5 millions d’euros et de prétendre jusqu’à 60 millions d’euros, les objectifs de son départ peuvent avoir le mérite d’être revus. Bien que paraissant légitime, la démission d’un dirigeant de société cotée est souvent accompagnée de golden parachute. Ce qui est intéressant c’est que le contrat qui instituait Winterkorn à la tête d’une des plus importantes sociétés automobiles prévoyait que ce parachute doré lui serait accordé… quelles que soient les raisons de son départ.

La presse n’a pas manqué à son devoir d’information du public en dénonçant cette situation d’autant plus que « (…) les parachutes dorés ainsi que les bonus et primes des dirigeants sont de plus en plus élevés et dépassent ce que l’on peut imaginer » [4] et que l’échec (et le départ) d’un dirigeant fait « (…) partie des risques normaux du métier de patron » [5].

Face à d’énormes scandales, comme celui de Volkswagen, il est normal de se questionner sur la légitimité de telles sommes. Bien que le dirigeant ait pour ambition un nouveau départ de la société, pourquoi dans ce cas bénéficier de bonus qui coûtent à la société ? L’illusion est bonne, mais elle n’est somme toute pas parfaite. Martin Winterkorn a laissé croire que son intérêt n’était porté que vers les actionnaires, les administrateurs et les parties prenantes, mais le fait de pouvoir prétendre à 60 millions d’euros remet tout en cause.

Et l’éthique dans tout cela ?

Si la loi permet de telles sommes de départ, et ce même en cas de fraude, quand est-il de l’éthique ? Ces indemnités de départ, quel que soit leur nom sont-elles légitimes dans un contexte de prise de conscience de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? Les parties prenantes sont-elles respectées face à ce genre de comportement ?

Sachant qu’à l’heure actuelle il est impossible d’ignorer complètement les enjeux entourant la RSE, il est normal de se questionner relativement à la légitimité de parachutes dorés [6]. Dans le cas de Volkswagen plus précisément, il est possible de voir les actionnaires se lever et tenter d’empêcher le président d’obtenir son golden parachute, notamment au regard des résultats boursiers moyens de l’entreprise [7].

Vont-ils le faire ? Ne sont-ce pas aux administrateurs eux-mêmes à réagir [8] ? Tant de questions et d’interrogations en réponse au scandale du géant automobile allemand restent en attente de réponses.


[1] Frank Zeller, « Tests manipulés : Volkswagen savait », LaPresse, 27 septembre 2015, en ligne : http://auto.lapresse.ca/actualites/volkswagen/201509/27/01-4904281-tests-manipules-volkswagen-savait.php (consulté le 30 novembre 2015).

[2] Olivier Mondet, « La réputation de l’entreprise est-elle un actif spécifique ? », CREG Versailles, vendredi 21 mars 2014, en ligne : http://www.creg.ac-versailles.fr/spip.php?article732 (consulté le 30 novembre 2015).

[3] « Démission du patron de Toshiba, impliqué dans un vaste scandale comptable », L’OBS à la une, 21 juillet 2015, en ligne : http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20150721.AFP4308/scandale-toshiba-demission-du-pdg-hisao-tanaka-et de-deux-de-ses-predecesseurs.html (consulté le 30 novembre 2015).

[4] Ivan Tchotourian, « Une décennie d’excès des dirigeants en matière de rémunération : repenser la répartition des pouvoirs dans l’entreprise : une solution perse porteuse de risques », Paris, LGDJ, 2011, p. 9, en ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/5208/ChapitreRemunerationetPouvoirs2011_IT.pdf (consulté le 10 décembre 2015).

[5] J. El Ahdab, « Les parachutes dorés et autres indemnités conventionnelles de départ des dirigeants : approche pluridisciplinaire et comparée », Rev. Sociétés, 2004, p. 18.

[6] Christine Neau-Leduc, « La responsabilité sociale de l’entreprise : quels enjeux juridique ? » Droit social, 2006, p. 956.

[7] Jena McGregor, « Outgoing Volkswagen CEO’s exit package could top $67 million », Washington Post, 24 septembre 2015.

[8] « Boards are responsible for limiting excess pay », Financial Times, 17 avril 2016, en ligne : http://www.ft.com/cms/s/194a5de6-02fa-11e6-af1d-c47326021344, Authorised=false.html?siteedition=uk&_i_location=http%3A%2F%2Fwww.ft.com%2Fcms%2Fs%2F0%2F194a5de6-02fa-11e6-af1d-c47326021344.html%3Fsiteedition%3Duk&_i_referer=&classification=conditional_standard&iab=barrier-app#ixzz4677JCobn (consulté le 18 avril 2015).

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*Ivan Tchotourian, professeur en droit des affaires, codirecteur du Centre d’Études en Droit Économique (CÉDÉ), membre du Groupe de recherche en droit des services financiers (www.grdsf.ulaval.ca), Faculté de droit, Université Laval.

Auteur : Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé

Ce blogue fait l’inventaire des documents les plus pertinents et récents en gouvernance des entreprises. La sélection des billets, « posts », est le résultat d’une veille assidue des articles de revue, des blogues et sites web dans le domaine de la gouvernance, des publications scientifiques et professionnelles, des études et autres rapports portant sur la gouvernance des sociétés, au Canada et dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Europe, et en Australie. Chaque jour, je fais un choix parmi l’ensemble des publications récentes et pertinentes et je commente brièvement la publication. L’objectif de ce blogue est d’être la référence en matière de documentation en gouvernance dans le monde francophone, en fournissant au lecteur une mine de renseignements récents (les billets quotidiens) ainsi qu’un outil de recherche simple et facile à utiliser pour répertorier les publications en fonction des catégories les plus pertinentes. Jacques Grisé est professeur titulaire retraité (associé) du département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Il est détenteur d’un Ph.D. de la Ivy Business School (University of Western Ontario), d’une Licence spécialisée en administration des entreprises (Université de Louvain en Belgique) et d’un B.Sc.Comm. (HEC, Montréal). En 1993, il a effectué des études post-doctorales à l’University of South Carolina, Columbia, S.C. dans le cadre du Faculty Development in International Business Program. Il a été directeur des programmes de formation en gouvernance du Collège des administrateurs de sociétés (CAS) de 2006 à 2012. Il est maintenant collaborateur spécial au CAS. Il a été président de l’ordre des administrateurs agréés du Québec de 2015 à 2017. Jacques Grisé a été activement impliqué dans diverses organisations et a été membre de plusieurs comités et conseils d'administration reliés à ses fonctions : Professeur de management de l'Université Laval (depuis 1968), Directeur du département de management (13 ans), Directeur d'ensemble des programmes de premier cycle en administration (6 ans), Maire de la Municipalité de Ste-Pétronille, I.O. (1993-2009), Préfet adjoint de la MRC l’Île d’Orléans (1996-2009). Il est présentement impliqué dans les organismes suivants : membre de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ), membre du Comité des Prix et Distinctions de l'Université Laval. Il préside les organisations suivantes : Société Musique de chambre à Ste-Pétronille Inc. (depuis 1989), Groupe Sommet Inc. (depuis 1986), Coopérative de solidarité de Services à domicile Orléans (depuis 2019) Jacques Grisé possède également une expérience de 3 ans en gestion internationale, ayant agi comme directeur de projet en Algérie et aux Philippines de 1977-1980 (dans le cadre d'un congé sans solde de l'Université Laval). Il est le Lauréat 2007 du Prix Mérite du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) et Fellow Adm.A. En 2012, il reçoit la distinction Hommage aux Bâtisseurs du CAS. En 2019, il reçoit la médaille de l’assemblée nationale. Spécialités : Le professeur Grisé est l'auteur d’une soixantaine d’articles à caractère scientifique ou professionnel. Ses intérêts de recherche touchent principalement la gouvernance des sociétés, les comportements dans les organisations, la gestion des ressources humaines, les stratégies de changement organisationnel, le processus de consultation, le design organisationnel, la gestion de programmes de formation, notamment ceux destinés à des hauts dirigeants et à des membres de conseil d'administration.

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