Je cède régulièrement la parole à Johanne Bouchard* à titre d’auteure invitée sur mon blogue en gouvernance. Celle-ci a une solide expérience d’interventions de consultation auprès de conseils d’administration de sociétés américaines ainsi que d’accompagnements auprès de hauts dirigeants de sociétés publiques (cotées), d’organismes à but non lucratif (OBNL) et d’entreprises en démarrage.
Dans ce billet, elle nous donne son point de vue sur l’approbation de quota de diversité aux conseils d’administration. C’est un sujet de grande actualité, et l’expérience varie passablement d’une autorité réglementaire à une autre.
Il ressort de cela que de plus en plus d’autorités réglementaires sont tentées par l’imposition de cibles à atteindre en matière de diversité, notamment eu égard à la représentation des femmes sur les conseils d’administration. Dans ce billet, elle nous présente son point de vue pour une meilleure diversité et elle nous instruit sur les mesures adoptées dans d’autres pays.
L’expérience de Johanne Bouchard auprès d’entreprises cotées en bourse est soutenue ; elle en tire des enseignements utiles pour tous les conseils d’administration.
Bonne lecture ! Vos commentaires sont toujours accueillis favorablement.
Quotas de diversité aux conseils d’administration : Qu’arrive-t-il maintenant?
par
Johanne Bouchard
À l’échelle mondiale, l’appel à la diversité est lancé. Récemment, particulièrement au cours de cette dernière année, il y a eu beaucoup de battage autour de la question des quotas. Notamment, de nombreux gouvernements ont pris des mesures en vue d’imposer des quotas aux conseils d’administration.
Puisque je prône un rendement optimal de la gouvernance des conseils d’administration et de la composition de tout type de conseils d’administration, particulièrement et surtout quand le besoin se fait sentir de revitaliser les conseils d’administration d’entreprises, je pense que la diversité doit être la première idée qui nous vient à l’esprit.
Bien que, selon moi, la diversité au sein des conseils d’administration inclue les femmes, la connaissance et l’expérience internationale, la connaissance de l’industrie, l’ethnicité et l’âge, je veux ici porter mon attention aux efforts actuels de générer un plus grand équilibre au sein de nos conseils d’administration en ce qui concerne l’égalité des genres.
J’écris aujourd’hui pour éveiller la conscience sur la question des quotas imposés aux conseils d’administration. Pourquoi devons-nous tous être très vigilants à ce sujet, pour qu’ensemble nous puissions observer attentivement les vagues que cela crée à travers le monde ? Environ, une douzaine de pays, qui ont moins de 10 % de femmes administratrices au sein de leurs conseils d’administration, ont appliqué les quotas avant même de voir des résultats concrets et d’observer les conséquences que ceux-ci pouvaient avoir sur le comportement des individus, le processus de recrutement et la parité des chances entre les femmes et les hommes.
Les quotas imposés aux conseils d’administration sont établis pour augmenter la représentation des femmes aux conseils d’administration, dans l’espoir que cette représentativité se retransmettra aux autres enjeux liés à l’inégalité des genres dans le monde des affaires, dans tous les secteurs des entreprises, à l’intérieur de nos établissements scolaires, dans nos organisations politiques et gouvernementales sur toute la planète.
Le fait étant qu’en 2015, les femmes sont encore sous-représentées dans les rôles de leadership où elles peuvent exceller et avoir une incidence. Elles ne sont pas rémunérées sur la même échelle que leurs collègues masculins et la présence des femmes (particulièrement importante pour moi) à STEM (Science, technologie, ingénierie, mathématiques) est loin d’avoir atteint un niveau acceptable dans plusieurs universités.
Il y a une tendance en Europe et au Canada à légiférer sur l’augmentation de la présence des femmes sur les conseils d’administration, afin d’accélérer une croissance qui ne s’est pas faite naturellement. Les États-Unis montent la garde, et plusieurs croient que les quotas américains sont improbables.
Le débat autour de cette tendance réfère aux aspects plus controversés d’une action affirmative et aux avantages des quotas à long terme. Les statistiques démontrent que les quotas produisent des changements immédiats quant à la diversité des genres dans tous les pays qui les appliquent, mais des questions se posent quant à leurs bienfaits à long terme et à leur valeur symbolique.
Regardons ce qui se passe maintenant avec la diversité aux conseils d’administration
Alison Smale et Claire Cain Miller ont signalé, dans le magazine The New York Times (le 6 mars 2015), que :
« L’Allemagne a adopté une loi contraignant quelques-unes des plus grandes entreprises en Europe à attribuer 30 % des postes de supervision aux femmes, à partir de l’année prochaine. Moins de 20 % des sièges aux conseils d’administration en Allemagne sont occupés par des femmes, alors que certaines des plus grandes entreprises multinationales au monde y sont installées (dans ce pays), incluant Volkswagen, BMW et Daimler (le fabriquant des véhicules Mercedes-Benz) de même que Siemens, Deutsche Bank, BASF, Bayer et Merck. »
Dans cet article, le ministre de la Justice de l’Allemagne était cité alors qu’il affirmait que, « pour l’Allemagne (la loi est) la plus grande contribution à l’égalité des genres depuis l’obtention du droit de vote accordé aux femmes » (en Allemagne en 1918).
En Norvège, l’adoption des quotas relatifs au genre au sein des conseils d’administration des entreprises était une première, comme l’expliquait The Economist dans son article de mars 2014 « L’expansion des quotas relatifs au genre au sein des conseils d’administration ». Le quota de 40 % attribué aux femmes aux postes d’administration dans des entreprises cotées en Bourse est entré en vigueur en 2008, et « les entreprises non conformes pouvaient, en principe, être dissoutes par la force, bien qu’aucune n’ait eu à subir un tel sort. »
L’adoption des quotas relatifs au genre au sein des conseils d’administration en Norvège a provoqué un changement important à court terme quant à la présence des femmes au sein des conseils. Selon l’article de Danielle Paquette, paru dans The Washington Post (le 9 février 2015) « Pourquoi les Américaines détestent les quotas dans les conseils d’administration », le changement n’a pas encore infiltré d’autres enjeux d’inégalité de genre dans l’environnement des entreprises en Norvège.
Le Royaume-Uni n’a encore pris aucune mesure législative à date. Plutôt, une initiative, appelée « le Club 30 % » a été lancée en 2010. Helena Morrissey, la chef de la direction et fondatrice de Newton Investment Management et du Club 30 %, a indiqué : « Nous croyons que plus les femmes siègent aux conseils d’administration sans l’imposition des quotas, plus elles peuvent prouver leur valeur ajoutée. D’ici à ce qu’on atteigne le 30 %, le système s’autoperpétuera. »
En juin 2014, au Canada, à la suite du rapport fédéral du conseil consultatif, on a demandé aux plus importantes entreprises d’augmenter le nombre de femmes au sein de leur conseil d’administration, recommandant une augmentation de 30 % de la présence des femmes à leur conseil d’administration, mais sans quotas ni exigences réglementaires.
L’approche, à laquelle on réfère par l’expression « conformez-vous et expliquez », exige que les entreprises divulguent les statistiques relatives à la diversité, ce qui nous l’espérons, amènera les 500 plus grandes entreprises à procéder aux changements nécessaires. À la fin de 2015, l’Ontario, a pris l’initiative d’imposer des modifications législatives, puisque les entreprises ne coopéraient pas volontairement à la demande d’augmenter le nombre de femmes aux postes de leadership.
Les États-Unis sont à la traîne ; à cet égard ! Ainsi qu’il a été publié dans Fortune (le 13 janvier 2015) : « Les femmes gagnent des sièges aux conseils d’administration à l’échelle mondiale, mais pas aux États-Unis. » Selon l’index de recensements Catalyst 2014 Census Index, 19,2 % des sièges des conseils d’administration des entreprises inscrites au S&P 500 sont occupés par des femmes ; les États-Unis ne prennent aucune mesure dynamique pour faire bouger l’aiguille.
Les progrès à reconnaître la potentialité des femmes comme candidates aux conseils d’administration sont lents aux États-Unis. Cependant, un certain nombre d’initiatives telles que The Thirty Percent Coalition, 2020 Women on Boards et The Alliance for Board Diversity (ABD), démystifient le processus et accélèrent la diversification des conseils d’administration.
La définition du mot quota dans le dictionnaire Merriam Webster’s m’a fait grincer les dents : « an official limit on the number or amount of people or things that are allowed », c’est-à-dire une limite officielle du nombre ou du montant de personnes ou de choses autorisées. Selon moi, au 21e siècle, la limitation et la restriction ne devraient pas être la méthode à prendre pour atteindre l’objectif de la composition optimale des conseils d’administration et d’un équilibre naturel des compétences au sein du conseil.
La seconde définition de quota est : « a specific amount or number that is expected to be achieved », soit une quantité ou un nombre précis que l’on s’attend à atteindre, ce qui m’est apparu comme une manière tout à fait inacceptable de parler de la présence des femmes à la table des conseils d’administration et dans des postes de leadership. Les valeurs numériques ne créent pas l’impression de renforcement. Le pouvoir vient du fait d’inclure les femmes parce qu’elles peuvent contribuer de manière significative au conseil d’administrateur.
La troisième définition est : « the number or amount constituting a proportional share », soit un nombre ou un montant représentant une part proportionnelle, une définition avec laquelle je ne me sentais pas plus à l’aise. La composition du conseil d’administration n’est pas qu’une question de « part proportionnelle », mais la question est plutôt d’atteindre un niveau optimal de diversité en priorisant la connaissance, l’expérience, l’éducation et les liens internationaux — puis de s’assurer qu’il n’existe pas de discrimination relative au genre, à l’ethnie, à l’âge et à l’origine des candidats.
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En tant que femme qui a l’intention de siéger à plusieurs conseils d’administration et qui a conseillé des conseils d’administration de différents types et de différentes tailles, j’ai observé et j’ai fait l’expérience directe que les femmes ont été sous-représentées dans les salles des conseils d’administration, et le sont encore. Le fait est que la plupart de mes clients aux conseils d’administration étaient des hommes.
La plupart des conseils d’administration des entreprises publiques avec lesquels j’ai travaillé étaient principalement composés d’hommes, tandis que les conseils d’administration d’organismes à but non lucratif avaient atteint un meilleur équilibre entre les hommes et les femmes. Cependant, j’ai rarement fait personnellement l’expérience de discrimination dirigée directement contre les femmes dans le processus de sélection d’un nouvel administrateur.
J’ai observé et remarqué les avantages que pouvait apporter la présence d’une femme au conseil d’administration (et il y a des études qui démontrent ce que j’ai moi-même observé). Bien que la plupart des conseils d’administration des entreprises de mes clients aient été composés d’hommes à 99 %, quand je leur ai suggéré d’augmenter la mixité des genres au sein de leur conseil, ils ont tous bien accueilli cette recommandation. Leur principale question a été de savoir comment trouver le meilleur talent avec les qualités qu’ils recherchaient alors qu’ils augmentaient et revitalisaient leur conseil d’administration.
En conclusion, le débat est vif, et il y a des arguments puissants pour et contre les quotas. J’ai voulu poser la question autrement, en parlant directement aux personnes qui font partie des statistiques. Donc, un prochain billet regroupera les commentaires collectés pendant des sondages d’opinion que j’ai menés en avril 2015.
Il est important que les hommes et les femmes aux postes de leadership et aux conseils d’administration, à l’échelle mondiale, comprennent comment les pays abordent le sujet de la diversité des genres. La diversité des genres au sein de nos conseils d’administration ne devrait pas être considérée comme « équitable ». C’est de la bonne gouvernance. Point à la ligne.
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*Johanne Bouchard est consultante auprès de conseils d’administration, de chefs de la direction et de comités de direction. Johanne a développé une expertise au niveau de la dynamique et de la composition de conseils d’administration. Après l’obtention de son diplôme d’ingénieure en informatique, sa carrière l’a menée à œuvrer dans tous les domaines du secteur de la technologie, du marketing et de la stratégie à l’échelle mondiale.
Une réflexion sur “Quotas de diversité aux conseils d’administration : Qu’en est-il aujourd’hui ?”