Gouverner dans l’anxiété | Effet insoupçonné de l’actionnariat activiste ?


M. François Dauphin, directeur de projets de l’IGOPP, nous fait parvenir le billet suivant à titre de blogueur invité.

L’article insiste sur les conséquences, souvent dysfonctionnelles, de gouverner dans un climat d’appréhension relié aux probabilités d’interventions d’actionnaires activistes, qui, selon lui, sont généralement à court terme et bénéficient surtout à ces deniers.

Il semble cependant que ce phénomène continuera sa progression et que les conseils d’administration doivent être de plus en plus vigilants car les « fonds activistes savent cibler des sociétés dont les conseils d’administration n’ont pas été à la hauteur ».

Cet article apporte un éclairage très pertinent aux administrateurs de sociétés, notamment en affirmant que la peur des fonds activistes est exagérée dans les cas de sociétés qui observent des règles de gouvernance exemplaires.

Bonne lecture !

Gouverner dans l’anxiété : Serait-ce un effet insoupçonné de l’actionnariat activiste ?

Par

François Dauphin, MBA, CPA, CMA

Directeur de projets, IGOPP

En septembre dernier, nombreux sont ceux qui n’ont pu réprimer un sourire en observant la dernière salve de l’actionnaire activiste Starboard Value contre le conseil d’administration et la haute direction de Darden Restaurants (société mère qui regroupe plusieurs chaînes de restaurants, dont Olive Garden, Longhorn Steakhouse et, jusqu’à très récemment, Red Lobster). En effet, dans une présentation de près de 300 pages, l’activiste ridiculisait la façon dont l’entreprise gérait son réseau de restaurants, allant jusqu’à souligner l’incapacité des cuisiniers à bien faire cuire les pâtes ou le nombre de pains trop élevés laissé par les serveurs sur les tables.

Rappelons qu’un investisseur « activiste » est un actionnaire qui acquière une participation dans une entreprise publique, et qui utilise différentes techniques (souvent hostiles) afin de contraindre le conseil d’administration ou la direction de l’entreprise ciblée à se conformer à ses requêtes, lesquelles visent essentiellement à créer rapidement de la valeur pour les actionnaires. Les recettes sont relativement toujours les mêmes : distribuer les liquidités excédentaires sous forme de dividendes spéciaux ou de rachats d’actions ou même endetter l’entreprise pour ce faire, vendre des actifs dont le rendement apparaît insuffisant, séparer l’entreprise en deux ou plusieurs entités qui seront inscrites en bourse, forcer la vente de l’entreprise, etc. Le moyen le plus utilisé est de faire planer la menace d’une course aux procurations pour remplacer plusieurs membres du conseil si les administrateurs en place n’obtempèrent pas.

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Dans le cas de Darden, Starboard Value a gagné son pari : les 12 membres du conseil d’administration ont été remplacés, dans un résultat sans précédent pour une telle course aux procurations, surtout en considérant que Starboard ne détenait que 8,8% des votes. Le conseil d’administration de Darden n’était pas sans faute, après tout, il avait procédé à la vente de Red Lobster à peine quelque temps avant que les actionnaires ne se prononcent sur le sujet, un geste que certains qualifieront de panique en réaction aux pressions exercées par les activistes.

L’exemple de Darden est certes étonnant. Toutefois, il traduit un malaise bien réel qui tend à s’accentuer. Une étude récente de PwC (Annual Corporate Directors Survey 2014) montre que 85% des conseils d’administration d’entreprises dont les revenus excèdent les 10 milliards de dollars (75% des entreprises dont les revenus sont moins d’un milliard de dollars) ont eu des discussions au sujet de la préparation (ou de la réaction) pour faire face à un éventuel (réel) actionnaire activiste. La crainte de devoir affronter un de ces investisseurs – et de perdre, puisque les activistes, disposant de ressources sans précédent, remportent la majorité de leurs affrontements – pousse de plus en plus d’entreprises à abdiquer rapidement lorsqu’un activiste se manifeste, ou encore à agir de manière préventive en tentant d’anticiper ce qu’un activiste potentiel pourrait réclamer.

Ainsi, on constate déjà les effets de telles décisions. Du côté de ceux qui ont capitulé, on retrouve des exemples comme Hertz (3 sièges au conseil offerts à l’activiste Carl Icahn en moins d’une semaine) et Walgreen (2 sièges au conseil offerts à Jana Partners, un activiste qui ne détenait pourtant qu’une participation de 1,2%), alors que du côté des conseils d’administration préventifs (craintifs) on retrouve des exemples comme Symantec (annonce de la séparation de l’entreprise en deux entités distinctes) ou Adidas (annonce d’un programme de rachat d’actions massif à la suite d’une rumeur suggérant un intérêt de la part d’activistes).

On pourrait conclure qu’il en est ainsi parce que ces fonds activistes savent cibler des sociétés dont les conseils d’administration n’ont pas été à la hauteur.

Malheureusement, la perspective d’une capitulation massive devant la menace de ces investisseurs n’annonce rien de bien favorable. En effet, les entreprises deviendront de plus en plus réticentes à investir dans leur avenir et se concentreront davantage sur le très court terme (qui se mesure maintenant en trimestres et non en années). Si certains actionnaires pourront profiter de cette nouvelle réalité – les activistes au premier rang  –, les autres parties prenantes risquent au contraire d’en subir les contrecoups.

Les détenteurs de titres de dette, par exemple, subissent fréquemment les effets corollaires de l’activisme. Moody’s publiait déjà en 2007 un avis soulignant que la cote de crédit des émetteurs ciblés par les activistes était presque universellement revue à la baisse; de son côté, Standard & Poor’s a récemment publié un rapport soulignant que 40% des entreprises qui ont exécuté un essaimage (« spin-off » d’actifs) ont vu leur cote de crédit être révisée à la baisse sur le long terme.

Ainsi, plusieurs entreprises sont plus à risque, davantage fragilisées après le passage d’un activiste. Et voilà que des conseils d’administration optent pour des stratégies qui fragiliseront l’avenir de leur propre entreprise simplement pour éviter d’apparaître sur le radar d’un hypothétique actionnaire activiste! Si le phénomène ne s’est pas encore manifesté sous sa forme la plus acrimonieuse au Québec, cela ne signifie pas qu’il faille l’ignorer, bien au contraire!

La peur n’est généralement pas un état favorisant la prise de décision réfléchie, l’éclosion d’idées nouvelles ou le développement d’une vision d’avenir dynamisante.

Le rôle du conseil d’administration est remis en cause par cette forme d’actionnariat prônant une démocratie directe. Si le conseil d’administration comme entité mérite de préserver sa place, il devra le prouver en se renouvelant, en se montrant vigilant, aussi « activiste » que les fonds mais avec, comme objectif, l’intérêt à long terme de la société et de toutes ses parties prenantes.

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