Au début de septembre 2015, j’ai partagé avec vous un article intitulé Role of the Board in M&A d’Alexandra R. Lajoux, responsable du secteur de la gestion des connaissances à la National Association of Corporate Directors (NACD) qui portait sur les principaux enjeux relatifs à la gouvernance dans des situations de fusions et acquisitions, lesquelles sont de plus en plus importantes dans le monde des entreprises publiques ou privées.
Johanne Bouchard* qui agit assez régulièrement, à titre d’auteure invitée, sur mon blogue en gouvernance aborde un sujet qui est très négligé dans la littérature en gouvernance : le rôle que doit jouer un conseil d’administration lors des opérations de fusions et acquisitions (F&A) ainsi que les interventions requises pour la mise en œuvre d’un CA efficace, résultant des deux entités. L’article intitulé Advice for Effective Board Mergers, a d’abord été publié en anglais par Johanne Bouchard et Ken Smith.
J’ai œuvré à la réalisation de la version française de cet article qu’elle partage avec nous aujourd’hui. Johanne a une solide expérience d’interventions de consultation auprès de conseils d’administration de sociétés américaines et d’accompagnements auprès de hauts dirigeants de sociétés publiques.
Bonne lecture ! Vos commentaires sont les bienvenus.
Pour une fusion de conseils efficace
par Johanne Bouchard et Ken Smith
SambaTech vient tout juste de faire l’acquisition de la société HipGen (noms fictifs). La transaction a été conclue en partant du principe que les quatre membres qui siègent depuis longtemps au conseil de HipGen, incluant le PDG, se joignent aux six membres du conseil de SambaTech.
Les PDG des deux sociétés se connaissent déjà grâce aux négociations, et le président de SambaTech a déjà rencontré un des quatre membres du conseil de HipGen au cours de rencontres d’affaires précédentes. Sans quoi, aucun des membres de SambaTech ne connaissait les nouveaux administrateurs autrement que par la lecture des curriculums vitæ.
La première réunion du conseil prend place peu après la conclusion de l’entente de fusion. Le conseil a un programme très chargé et plusieurs décisions importantes doivent être prises, y compris celle d’approuver un nouveau budget de fonctionnement harmonisé et celle d’amorcer la surveillance du processus d’intégration post-fusion.
Or, dix des administrateurs les plus qualifiés et les plus performants des deux entreprises se rencontreront pour la première fois et devront prendre des décisions qui affecteront directement chacune de leurs anciennes sociétés ainsi que l’avenir de la nouvelle entité résultant de la fusion. Plusieurs d’entre eux ne se connaissent pas.
Rien ne garantit que les nouveaux gestionnaires seront d’accord avec la fusion, encore moins en ce qui concerne le plan d’intégration, les restrictions budgétaires qui lui sont associées et les suppressions de postes. SambaTech avait prévu un programme d’intégration des deux conseils, mais rien n’est encore réalisé. La composition et les fonctions du conseil ont considérablement changé. Le climat sera au mieux neutre, mais probablement hostile. La dynamique au sein du conseil sera imprévisible. À quoi pourrait-on s’attendre ?
Cette situation n’a rien d’inhabituel. Selon une étude de Kevin W. McLaughlin et Chinmoy Ghosh de l’Université du Connecticut, parmi les fusions figurant au classement Fortune 500, environ un tiers des dirigeants ciblés sont retenus. Alors que, dans la plupart des cas, une attention particulière est portée à l’intégration des entreprises, il est très rare d’en faire autant pour assurer l’intégration efficace des conseils.
Par conséquent, le conseil d’administration peut se révéler peu performant, au moment même où sa surveillance est la plus importante. Les administrateurs sont très conscients des taux élevés d’échec des fusions, lesquels sont souvent associés à une mauvaise mise en œuvre du processus d’intégration post-fusion. C’est en général à cette période que la valeur promise dans la proposition d’affaires est effectivement créée ou pas, et que le succès ou l’échec de cette entente est déterminé pour les actionnaires.
Nonobstant les propres défis d’intégration du conseil, il est effectivement difficile pour les administrateurs d’exercer un rôle de surveillance de la mise en oeuvre des nouvelles acquisitions. La plupart des administrateurs auront un accès limité aux actifs combinés et aux activités post-fusion. Cela est encore plus gênant alors que la plupart des administrateurs les plus qualifiés de la société acquise ont été exclus au moment de la transaction, soit parce que le conseil n’avait pas la capacité de les inclure soit parce qu’ils avaient choisi de ne pas rester.
Par ailleurs, lorsque certains administrateurs de la société acquise sont retenus, l’intégration du nouveau conseil est souvent négligée. Au mieux, les administrateurs seront idéalistes — étant soulagés d’avoir passé la période intensive de surveillance, se rencontrant probablement pour la première fois, ayant possiblement assumé des fonctions inhabituelles au sein du comité et devant s’entendre sur des stratégies nouvelles ou modifiées. Au pire, le nouveau conseil post-fusion sera dysfonctionnel, peut-être à cause d’un certain ressentiment à l’égard du déroulement de la transaction, à cause d’une composition du conseil loin d’être idéale, vu le manque d’adéquation des compétences et des personnalités, ou tout simplement à cause d’un manque d’attention portée à la phase d’intégration des conseils post-fusion.
Quelques scénarios représentatifs
Les défis et les solutions pour le conseil post-fusion varient en fonction de la nature de la transaction. Nous considérons ici quatre scénarios représentatifs.
Scénario 1
La fusion de sociétés de même taille, publiques et saines, dont les buts sont de créer de nouvelles entreprises différenciées et de se positionner à un niveau concurrentiel supérieur. C’est une transaction « amicale », en ce sens que les deux entreprises partagent la même vision et s’entendent sur les objectifs de la fusion. La société de plus grande taille est désignée comme l’acquéreur et la plus petite, la cible (c.-à-d. la fusion de concurrents dans un secteur qui est en train de se consolider).
Scénario 2
Une société publique fait l’acquisition d’une petite société privée et saine. L’objectif de l’acquéreur est d’ajouter soit de nouvelles compétences concurrentielles soit un éventail de produits. Cela est probablement une acquisition parmi une série d’autres. L’entreprise acquise tente d’accélérer sa croissance avec les capitaux supplémentaires et la part de marché de l’acquéreur. De tels accords sont fréquents dans le secteur des technologies de pointe.
Scénario 3
Une société publique fait l’acquisition d’une plus petite société publique et saine. Semblable au scénario 2, l’objectif de l’acheteur du scénario 3 est d’acquérir de nouvelles compétences concurrentielles ou un éventail de produits. L’intention se voulait en soi concurrentielle et la société cible ne cherchait nullement un acheteur. En revanche, cela a contribué à convaincre le conseil de la valeur de la fusion (c.-à-d. une acquisition qui a commencé par une offre d’achat non sollicitée ou « hostile »).
Scénario 4
Une société publique fait l’acquisition d’une société publique ou privée, en difficulté. Les objectifs de l’acheteur sont d’acquérir de nouvelles compétences concurrentielles ou un éventail de produits, et de rétablir la rentabilité de la société cible. Peu importe si l’entreprise ainsi acquise avait cherché un acheteur ou pas, elle avait certainement besoin d’aide pour se remettre sur la bonne voie (c.-à-d. une société cible qui n’atteint plus ses objectifs ou qui est vouée à la faillite).
Pour chacun des facteurs — composition du conseil d’administration, rôles et dynamiques, impératifs liés à la gestion de la surveillance des nouvelles acquisitions —, le scénario 1 est considéré comme un cas typique et les différences trouvées dans les autres scénarios sont notées.
Composition du conseil d’administration
Parmi les diverses études des conseils résultant de fusions, il y a d’intéressantes découvertes au sujet de la composition des conseils. Parmi la fusion des sociétés de grande taille, les études de McLaughlin et Ghosh démontrent que 34 % des administrateurs internes et 29 % des administrateurs indépendants sont retenus.
En outre, 83 % des administrateurs de l’offrant sont retenus. Les conseils d’administration sont souvent élargis et quelques administrateurs de l’offrant en sont exclus, pour y placer les dirigeants de la société cible.
Il n’est pas étonnant de constater que le nombre des administrateurs retenus est (proportionnellement) moindre dans les entreprises cibles de petite taille.
Les raisons qui justifient le maintien en poste d’un candidat varient. Il arrive quelquefois que les régulateurs locaux imposent la conservation de quelques sièges au conseil. Par exemple, le maintien de quelques sièges au conseil canadien était conditionnel à l’approbation de la vente de Nexen Energy à la géante pétrolière China CNOOC. Les sièges au conseil peuvent faire l’objet de négociations dans le but de protéger l’intérêt de la société cible, ou peuvent y être inclus à la suite de l’insistance des principaux groupes d’acteurs. Finalement, l’entreprise pourrait considérer comme avantageux le fait de maintenir en poste, à la nouvelle table du conseil, les administrateurs les plus qualifiés des deux conseils et ceux qui connaissent les deux entreprises.
Pour les sociétés publiques, ces désignations initiales peuvent éventuellement être remplacées par le processus d’élection des actionnaires. Cependant, la composition du conseil, à la suite de la signature de la transaction, est telle qu’elle a été négociée et promise dans les documents de la fusion, et approuvés par les conseils, les actionnaires et les régulateurs, comme cela a été exigé.
Le comité de gouvernance de la société acquéreur, en consultation avec la gouvernance de la société cible, les deux présidents de conseils et les deux PDG, se doivent de planifier ces désignations avant la signature de l’entente afin que la nouvelle société se dote du meilleur conseil d’administration possible. Les désignations doivent se reposer sur une grille de compétences, modifiée pour inclure les compétences et l’expérience nécessaires au succès du processus d’intégration post-fusion.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de la participation ?
La connaissance et l’expérience des dirigeants des deux conseils devraient correspondre avec ce qui suit :
- La connaissance et l’expérience du domaine ou du secteur d’activités de l’acquéreur ;
- La connaissance et l’expérience du domaine ou du secteur d’activités de la société cible, si elles sont différentes ;
- La connaissance des régions géographiques des activités combinées ;
- La bonne connaissance des affaires et des questions organisationnelles de l’acquéreur ;
- La bonne connaissance des affaires et des questions organisationnelles de la société cible ;
- Les alliances stratégiques existantes, de la cible ou de l’acquéreur, engageant la représentativité du conseil ;
- Les défis stratégiques anticipés ;
- L’expérience et l’expertise en matière d’intégration post-fusion et acquisition ;
- L’expertise fonctionnelle de base nécessaire à l’exercice des responsabilités de surveillance (risques et stratégies) et des comités (audit, gouvernance et nomination, rémunération) ;
- L’expérience pertinente en matière de leadership et de gouvernance ;
- La diversité — il est opportun ici de considérer les objectifs de la diversité dans tous les sens, y compris l’expérience, le genre et l’origine ;
- L’indépendance.
La grille de compétences de l’acquéreur serait un bon départ. De toute façon, cette grille présente les critères de sélection des dirigeants parmi les deux conseils. Toutes lacunes, en matière de connaissances ou de compétences pour lesquelles les nouveaux dirigeants devront être sélectionnés, seront notées.
Finalement, le choix des administrateurs et les conflits potentiels ou les atomes crochus entre les administrateurs seront des éléments déterminants. Certains administrateurs, particulièrement ceux de la société cible, profiteront de l’occasion pour se retirer du conseil. Les présidents de chacun des deux conseils, après discussion avec les membres de leur conseil respectif, pourraient s’entendre sur la structure du nouveau conseil post-fusion.
Autrement, le comité de gouvernance ou une tierce partie peut mener des entrevues afin de remplir la grille de compétences des candidats, de déterminer les attentes des dirigeants, d’examiner attentivement les dynamiques potentielles et de soumettre des recommandations.
Dans les deux cas, idéalement, la composition du conseil telle qu’elle a été proposée constituera une partie de l’entente de fusion soumise à l’approbation des actionnaires et des législateurs.
Différences entre les scénarios
Tout ce qui est mentionné précédemment s’applique au concept de la sélection du conseil dans tous les scénarios, mais l’application variera selon les scénarios.
Dans le scénario 1, l’acquéreur devra inclure certains administrateurs de la société cible, incluant les administrateurs indépendants. Dans la plupart des cas, la totalité des conseils des deux entreprises est retenue, entraînant la formation d’un conseil trop large et la redondance de certaines compétences. La meilleure stratégie serait de déterminer les compétences et les expériences les plus utiles aux deux entreprises, et de faire davantage de place, en combinant le départ à la retraite de certains dirigeants et en imposant une limite à l’expansion du conseil.
Dans les scénarios 2, 3 et 4, il est probable que moins de sièges seront disponibles aux administrateurs de la société cible au sein du conseil d’administration de l’acquéreur, soit trois ou moins. Cependant, comme il a été noté précédemment, plus de sièges auraient pu être négociés ou pourraient être exigés par le législateur.
Dans le scénario 2, le fondateur est souvent retenu pour sa mémoire institutionnelle et la fidélité de ses employés, le code d’éthique de la société ou la culture d’entreprise. L’entrepreneur fondateur, cependant, est rarement efficace comme gestionnaire (non PDG) au sein d’une plus grande entreprise, alors un poste de non-cadre au conseil devrait être considéré.
Dans le scénario 3, il y a une difficulté supplémentaire qu’il faut considérer quant à l’appui de cette transaction — les administrateurs qui ont négocié l’entente jusqu’à la fin sont moins enclins à se joindre au conseil ou à être constructifs dans leur rôle de surveillance.
Dans le scénario 4, il est essentiel d’examiner attentivement les compétences des candidats à la direction provenant de la société cible, et leur complicité dans l’effondrement de l’entreprise.
Rôles et dynamiques
Avant de conclure l’accord ou aussitôt après l’avoir fait, le conseil devrait : se rencontrer ; s’informer au sujet des nouvelles acquisitions, des opportunités clés et des défis associés à la fusion ; établir les rôles des comités ; et commencer à développer de bonnes relations autant avec la direction qu’entre eux, afin d’assurer un rendement optimal. Les désignations aux comités du conseil devraient aussi considérer les connaissances des deux parties, celles de l’acquéreur et celles de la société cible, en plus des autres facteurs énumérés dans la grille de compétences du conseil. Des réunions d’intégration des nouveaux membres devraient être prévues aussitôt que possible.
Si la composition du conseil change à la suite d’une fusion ou d’une acquisition, le conseil aura avantage à convoquer une réunion spéciale (ou plusieurs) afin de se regrouper et de s’aligner avant la première rencontre officielle du conseil. Cette réunion devrait être conçue pour :
- Présenter les administrateurs et explorer leurs profils respectifs, y compris les nouveaux administrateurs, les administrateurs du conseil de l’acquéreur et ceux de la société cible ;
- Rencontrer la nouvelle équipe du leadership et s’assurer que les cadres rencontrent les membres de leur conseil ;
- « Donner l’heure juste » concernant la stratégie, le but de la fusion et la valeur de certaines composantes clés ;
- Assurer le transfert des connaissances et se concentrer sur les sujets les plus déterminants de l’entente, ce qui pourrait inclure plusieurs rencontres avec les clients et les partenaires d’affaires ;
- Définir le rôle du président ;
- Finalement, et le plus important, commencer à fonctionner comme un conseil efficace, c’est-à-dire établir une culture et une dynamique au sein du conseil, d’où émergeront les compétences et l’expérience de tous les administrateurs et les décisions réfléchies dont bénéficiera l’entreprise.
Il est parfois avantageux qu’une telle réunion soit animée par un tiers indépendant pour veiller à ce que toutes les voix soient entendues et que les problématiques (signalées ou non) soient exposées et traitées, et à ce que tout suivi nécessaire soit noté et approuvé. Les questions liées aux personnalités, aux cultures de conseils d’administration et aux dynamiques de groupe sont extrêmement importantes, mais difficiles à percevoir à l’interne. La tenue d’une ou de plusieurs de ces réunions, immédiatement après la signature de la transaction, peut s’avérer très précieuse. Bien que ce soit une période très active pour les administrateurs, soumis à la pression de finaliser la transaction et de lancer le processus d’intégration post-fusion et acquisition, s’investir tôt dans la dynamique du conseil peut conduire à une meilleure efficacité.
Une rencontre devrait avoir lieu à la suite des premières réunions officielles du conseil, au plus tard à la fin de l’année, pour évaluer l’efficacité du conseil.
Différences entre les scénarios
Le défi des dynamiques au sein des conseils est très grand et varie considérablement d’un scénario à un autre.
Dans le scénario 1, il est probable que le conseil ait été élargi et que plusieurs administrateurs se soient joints au conseil de l’acquéreur, dont la plupart d’ailleurs siégeaient au conseil de la société cible. La fusion est un projet de grande envergure pour les entreprises nouvellement unies, et le conseil aura à gérer un agenda chargé ainsi qu’à prendre des décisions concernant la structure organisationnelle et l’intégration.
Le président du conseil et le PDG doivent être prêts à s’adresser aux nouveaux membres d’une voix ferme et impartiale — il ne peut y avoir un sentiment de « nous » et de « eux » au sein du conseil. Bien que tous les membres du conseil aient signifié leur appui, il serait faux de prétendre :
- Qu’il n’y a ni appréhensions, ni regrets, ni réserves au sujet de l’entente ;
- Que tous croient que le président et le PDG sauront gérer avec efficacité un conseil d’administration élargi ainsi qu’une nouvelle entreprise ;
- Que personne ne se sent individuellement menacé quant à son domaine d’expertise ;
- Que l’environnement favorise le respect mutuel et la complémentarité des personnalités.
Le soin mis à la composition du conseil et à la désignation des comités peut aider. Néanmoins, le travail consacré à la fusion des conseils, y compris les réunions préparatoires aux rencontres, est fondamental au succès de ce scénario.
Dans les scénarios 2, 3 et 4, il n’y a normalement que trois administrateurs, ou moins, à intégrer au conseil. Par conséquent, le processus d’intégration des nouveaux administrateurs au conseil de l’acquéreur ressemble en quelque sorte à n’importe quel autre processus bien exécuté, mais avec les exceptions suivantes :
- Les anciens administrateurs appartenant à la société de l’acquéreur doivent respecter la société acquise et reconnaître la valeur des nouveaux administrateurs ;
- Si l’ancien PDG de l’entreprise cible devient un administrateur (particulièrement dans le scénario 2 où le PDG est le fondateur), la transition à un poste non exécutif est souvent un énorme défi. L’ancien leader peut ne pas être à l’aise dans sa nouvelle position, certains administrateurs peuvent s’envier les uns les autres, les investissements de l’ancien chef (dans une transaction boursière), et les dispositions d’intervention possibles pourraient créer un conflit d’intérêts ou être perçus comme tel ;
- La transition de la société cible à une nouvelle gouvernance exige une surveillance étroite et délicate.
Encore une fois, il faut porter une attention particulière aux questions « délicates ». La tenue de séances spéciales du conseil, afin d’éclaircir et d’expliquer ces questions, peut être essentielle au maintien d’un rendement efficace et continu du conseil. Même quand aucun des nouveaux administrateurs n’est ajouté (ce qui est souvent le cas dans le scénario 4), le conseil bénéficiera d’une réunion pour se regrouper et s’entendre sur certaines questions « difficiles » et « délicates » à résoudre post-fusion. Plusieurs conseils s’étonnent eux-mêmes de ce qu’ils ignorent les uns des autres — compétences, expériences, aspirations, préférences, etc. — jusqu’au moment où ils mettent cartes sur table dans le contexte d’un défi aussi grand que celui d’une acquisition.
Impératifs de surveillance après une fusion
Il est habituellement très utile, pendant une période post-fusion et acquisition, de diviser le processus de composition du conseil en deux phases : la transition et la création de valeur.
L’objectif de la phase de transition est d’obtenir une structure fonctionnelle unifiée aussi rapidement que possible. Les administrateurs ont un rôle de supervision dans chacune des trois principales composantes de la phase de transition :
- Définition d’une nouvelle structure de l’organisation et du personnel « intérimaire » : Les administrateurs devraient s’assurer que la nouvelle structure correspond à l’objectif de la fusion et exploite les meilleurs talents, des deux sociétés, dans des rôles clés ;
- Planification conjointe (détaillée) de l’intégration de l’objectif de la fusion : Les administrateurs devraient vérifier l’adéquation du plan, s’assurer que la direction a déterminé les indicateurs et les étapes du processus d’intégration et le présenter au conseil par la suite ;
- Communication avec les intervenants : Les administrateurs devraient s’assurer que tous les intervenants clés ont été pris en considération, et que le plan de communication soutient la valeur exprimée dans l’entente et la réputation de la nouvelle société.
Après la phase de transition, les administrateurs devraient maintenir la surveillance du processus d’intégration post-fusion jusqu’à ce que tous les aspects du plan soient intégrés, et se concentrer sur les trois principaux aspects suivants :
- Alignement avec l’objectif de la fusion : Les administrateurs devraient suivre les indicateurs et tenir compte des obstacles associés au processus d’intégration, et s’assurer que la réduction des coûts et la croissance des revenus sont bien gérées et dotées des ressources adéquates. Les administrateurs, en prévision de la valeur des actions à long terme, doivent encourager les transactions et les activités post-fusion qui créeront une plus grande valeur et éviter celles qui pourront leur nuire.
- Intégration des sociétés et des cultures d’entreprise : Les administrateurs devraient s’assurer que la culture issue de la société fusionnée est clairement définie et que le changement culturel est dirigé et non laissé au hasard. Les choix de la structure et de la culture de l’entreprise devraient s’aligner avec la stratégie générale et faciliter la fusion.
- Gestion de projet d’intégration post-fusion : Comme il est noté précédemment, les indicateurs et les étapes importantes devraient faire l’objet d’un rapport. L’achèvement des audits du processus d’intégration post-fusion est une bonne pratique et devrait être soumis au conseil. Une telle vérification comprend un bref rapport de chaque élément important : Est-ce que tout a été fait, sinon, pourquoi ? Est-ce qu’on a obtenu les résultats attendus, sinon, pourquoi ? Quelles sont les leçons à retenir pour la prochaine entente ?
Différences entre les scénarios
Les priorités relatives à la surveillance post-fusion, mentionnées précédemment, s’appliquent à tous les scénarios. Les principales différences entre les transactions sont le degré d’intégration requis et le temps nécessaire pour compléter le processus de la fusion.
Par exemple, dans l’acquisition d’une nouvelle ligne de produits ou de nouvelles compétences dans les scénarios 2 ou 3, il n’est peut-être pas nécessaire, ni même à conseiller, d’intégrer totalement les deux entreprises. Il est souvent préférable d’intégrer seulement ce qui est nécessaire pour atteindre l’effet synergique du marché des produits et ainsi retenir la culture de l’entreprise acquise. Dans de telles transactions, il faudra moins de temps pour réaliser l’objectif de la fusion.
Dans le cas du scénario 4, il est peut-être nécessaire d’agir rapidement après la fusion pour « arrêter l’hémorragie ».
Dans tous les cas, les administrateurs doivent être au courant du processus et de ses enjeux, et le conseil doit fonctionner avec une efficacité maximale pendant cette période où les risques sont considérables pour la nouvelle entreprise.
Succès qui amène les fusions et acquisitions
Le développement d’un conseil post-fusion efficace est un enjeu de gouvernance important pour toutes les entreprises engagées dans le processus d’une fusion ou d’une acquisition. D’une part, les activités des fusions et acquisitions sont de nouveau à la hausse. La restructuration des entreprises internationales continue de stimuler la concurrence. Les avancées technologiques encouragent la fusion des entreprises tandis que d’autres sociétés deviennent désuètes. Ces nouveaux modèles amèneront les entreprises à se restructurer, et la plupart de celles qui réussiront le mieux se seront engagées dans les fusions et acquisitions.
D’autre part, une plus grande préoccupation de bonne gouvernance des fusions et acquisitions se manifeste maintenant plus que jamais. Les échecs multiples de gouvernance fort bien documentés, de Enron jusqu’à la crise financière, ont concentré l’attention sur le rôle stratégique des conseils en général. En particulier, les taux élevés d’échec des fusions et acquisitions dans les cycles précédents, évalués selon le rendement des actionnaires, ont éveillé l’attention des administrateurs aux activités des fusions et acquisitions et au rôle qu’ils ont d’en assurer le succès.
Pour un maximum d’efficacité en ce moment critique, les conseils ont besoin de retenir les bons talents, d’opérer des transitions rapidement et de s’attaquer de façon constructive aux questions importantes et urgentes du processus d’intégration post-fusion et acquisition.
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*Johanne Bouchard est conseillère auprès des conseils, des PDG et des cadres. Elle est experte dans la composition des conseils et des dynamiques, et offre un soutien dans l’alignement des stratégies, l’efficacité des conseils et l’intégration des conseils dans les fusions. Johanne Bouchard est entrepreneure en série, elle a tenu des postes de gestionnaire de niveau C au sein d’entreprises de haute technologie dans Silicon Valley.
Ken Smith est consultant en stratégie depuis plus de 25 ans, ayant servi des entreprises canadiennes et américaines de haut niveau. Il est expert dans les stratégies et la mise en oeuvre des fusions et acquisitions, et coauteur du livre The Art of M&A Strategy (McGraw-Hill, 2012) avec Alexandra R. Lajoux, chef directrice générale du savoir chez NACD.
Ce texte est traduit de l’anglais (NACD Directorship, September/October 2014, p. 60-64).
Traduction : Mireille Caron ; révision linguistique : Caroline Vézina
Auteur : Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé
Ce blogue fait l’inventaire des documents les plus pertinents et récents en gouvernance des entreprises. La sélection des billets, « posts », est le résultat d’une veille assidue des articles de revue, des blogues et sites web dans le domaine de la gouvernance, des publications scientifiques et professionnelles, des études et autres rapports portant sur la gouvernance des sociétés, au Canada et dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Europe, et en Australie. Chaque jour, je fais un choix parmi l’ensemble des publications récentes et pertinentes et je commente brièvement la publication. L’objectif de ce blogue est d’être la référence en matière de documentation en gouvernance dans le monde francophone, en fournissant au lecteur une mine de renseignements récents (les billets quotidiens) ainsi qu’un outil de recherche simple et facile à utiliser pour répertorier les publications en fonction des catégories les plus pertinentes. Jacques Grisé est professeur titulaire retraité (associé) du département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Il est détenteur d’un Ph.D. de la Ivy Business School (University of Western Ontario), d’une Licence spécialisée en administration des entreprises (Université de Louvain en Belgique) et d’un B.Sc.Comm. (HEC, Montréal). En 1993, il a effectué des études post-doctorales à l’University of South Carolina, Columbia, S.C. dans le cadre du Faculty Development in International Business Program. Il a été directeur des programmes de formation en gouvernance du Collège des administrateurs de sociétés (CAS) de 2006 à 2012. Il est maintenant collaborateur spécial au CAS. Il a été président de l’ordre des administrateurs agréés du Québec de 2015 à 2017. Jacques Grisé a été activement impliqué dans diverses organisations et a été membre de plusieurs comités et conseils d'administration reliés à ses fonctions : Professeur de management de l'Université Laval (depuis 1968), Directeur du département de management (13 ans), Directeur d'ensemble des programmes de premier cycle en administration (6 ans), Maire de la Municipalité de Ste-Pétronille, I.O. (1993-2009), Préfet adjoint de la MRC l’Île d’Orléans (1996-2009). Il est présentement impliqué dans les organismes suivants : membre de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ), membre du Comité des Prix et Distinctions de l'Université Laval. Il préside les organisations suivantes : Société Musique de chambre à Ste-Pétronille Inc. (depuis 1989), Groupe Sommet Inc. (depuis 1986), Coopérative de solidarité de Services à domicile Orléans (depuis 2019) Jacques Grisé possède également une expérience de 3 ans en gestion internationale, ayant agi comme directeur de projet en Algérie et aux Philippines de 1977-1980 (dans le cadre d'un congé sans solde de l'Université Laval). Il est le Lauréat 2007 du Prix Mérite du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) et Fellow Adm.A. En 2012, il reçoit la distinction Hommage aux Bâtisseurs du CAS. En 2019, il reçoit la médaille de l’assemblée nationale. Spécialités : Le professeur Grisé est l'auteur d’une soixantaine d’articles à caractère scientifique ou professionnel. Ses intérêts de recherche touchent principalement la gouvernance des sociétés, les comportements dans les organisations, la gestion des ressources humaines, les stratégies de changement organisationnel, le processus de consultation, le design organisationnel, la gestion de programmes de formation, notamment ceux destinés à des hauts dirigeants et à des membres de conseil d'administration. Voir tous les articles par Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé
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