Au début de septembre 2015, j’ai partagé avec vous un article intitulé Role of the Board in M&A d’Alexandra R. Lajoux, responsable du secteur de la gestion des connaissances à la National Association of Corporate Directors (NACD) qui portait sur les principaux enjeux relatifs à la gouvernance dans des situations de fusions et acquisitions, lesquelles sont de plus en plus importantes dans le monde des entreprises publiques ou privées.
Johanne Bouchard* qui agit assez régulièrement, à titre d’auteure invitée, sur mon blogue en gouvernance aborde un sujet qui est très négligé dans la littérature en gouvernance : le rôle que doit jouer un conseil d’administration lors des opérations de fusions et acquisitions (F&A) ainsi que les interventions requises pour la mise en œuvre d’un CA efficace, résultant des deux entités. L’article intitulé Advice for Effective Board Mergers, a d’abord été publié en anglais par Johanne Bouchard et Ken Smith.
J’ai œuvré à la réalisation de la version française de cet article qu’elle partage avec nous aujourd’hui. Johanne a une solide expérience d’interventions de consultation auprès de conseils d’administration de sociétés américaines et d’accompagnements auprès de hauts dirigeants de sociétés publiques.
Voici une version introductive de l’article, suivie du lien pour consulter le document intégral.
Bonne lecture ! Vos commentaires sont les bienvenus.
Pour une fusion de conseils efficace
par Johanne Bouchard et Ken Smith
SambaTech vient tout juste de faire l’acquisition de la société HipGen (noms fictifs). La transaction a été conclue en partant du principe que les quatre membres qui siègent depuis longtemps au conseil de HipGen, incluant le PDG, se joignent aux six membres du conseil de SambaTech.
Les PDG des deux sociétés se connaissent déjà grâce aux négociations, et le président de SambaTech a déjà rencontré un des quatre membres du conseil de HipGen au cours de rencontres d’affaires précédentes. Sans quoi, aucun des membres de SambaTech ne connaissait les nouveaux administrateurs autrement que par la lecture des curriculums vitæ.
La première réunion du conseil prend place peu après la conclusion de l’entente de fusion. Le conseil a un programme très chargé et plusieurs décisions importantes doivent être prises, y compris celle d’approuver un nouveau budget de fonctionnement harmonisé et celle d’amorcer la surveillance du processus d’intégration post-fusion.
Or, dix des administrateurs les plus qualifiés et les plus performants des deux entreprises se rencontreront pour la première fois et devront prendre des décisions qui affecteront directement chacune de leurs anciennes sociétés ainsi que l’avenir de la nouvelle entité résultant de la fusion. Plusieurs d’entre eux ne se connaissent pas.
Rien ne garantit que les nouveaux gestionnaires seront d’accord avec la fusion, encore moins en ce qui concerne le plan d’intégration, les restrictions budgétaires qui lui sont associées et les suppressions de postes. SambaTech avait prévu un programme d’intégration des deux conseils, mais rien n’est encore réalisé. La composition et les fonctions du conseil ont considérablement changé. Le climat sera au mieux neutre, mais probablement hostile. La dynamique au sein du conseil sera imprévisible. À quoi pourrait-on s’attendre ?
Cette situation n’a rien d’inhabituel. Selon une étude de Kevin W. McLaughlin et Chinmoy Ghosh de l’Université du Connecticut, parmi les fusions figurant au classement Fortune 500, environ un tiers des dirigeants ciblés sont retenus. Alors que, dans la plupart des cas, une attention particulière est portée à l’intégration des entreprises, il est très rare d’en faire autant pour assurer l’intégration efficace des conseils.
Par conséquent, le conseil d’administration peut se révéler peu performant, au moment même où sa surveillance est la plus importante. Les administrateurs sont très conscients des taux élevés d’échec des fusions, lesquels sont souvent associés à une mauvaise mise en œuvre du processus d’intégration post-fusion. C’est en général à cette période que la valeur promise dans la proposition d’affaires est effectivement créée ou pas, et que le succès ou l’échec de cette entente est déterminé pour les actionnaires.
Nonobstant les propres défis d’intégration du conseil, il est effectivement difficile pour les administrateurs d’exercer un rôle de surveillance de la mise en oeuvre des nouvelles acquisitions. La plupart des administrateurs auront un accès limité aux actifs combinés et aux activités post-fusion. Cela est encore plus gênant alors que la plupart des administrateurs les plus qualifiés de la société acquise ont été exclus au moment de la transaction, soit parce que le conseil n’avait pas la capacité de les inclure soit parce qu’ils avaient choisi de ne pas rester.
Par ailleurs, lorsque certains administrateurs de la société acquise sont retenus, l’intégration du nouveau conseil est souvent négligée. Au mieux, les administrateurs seront idéalistes — étant soulagés d’avoir passé la période intensive de surveillance, se rencontrant probablement pour la première fois, ayant possiblement assumé des fonctions inhabituelles au sein du comité et devant s’entendre sur des stratégies nouvelles ou modifiées. Au pire, le nouveau conseil post-fusion sera dysfonctionnel, peut-être à cause d’un certain ressentiment à l’égard du déroulement de la transaction, à cause d’une composition du conseil loin d’être idéale, vu le manque d’adéquation des compétences et des personnalités, ou tout simplement à cause d’un manque d’attention portée à la phase d’intégration des conseils post-fusion.
Quelques scénarios représentatifs
Les défis et les solutions pour le conseil post-fusion varient en fonction de la nature de la transaction. Nous considérons ici quatre scénarios représentatifs.
Scénario 1
La fusion de sociétés de même taille, publiques et saines, dont les buts sont de créer de nouvelles entreprises différenciées et de se positionner à un niveau concurrentiel supérieur. C’est une transaction « amicale », en ce sens que les deux entreprises partagent la même vision et s’entendent sur les objectifs de la fusion. La société de plus grande taille est désignée comme l’acquéreur et la plus petite, la cible (c.-à-d. la fusion de concurrents dans un secteur qui est en train de se consolider).
Scénario 2
Une société publique fait l’acquisition d’une petite société privée et saine. L’objectif de l’acquéreur est d’ajouter soit de nouvelles compétences concurrentielles soit un éventail de produits. Cela est probablement une acquisition parmi une série d’autres. L’entreprise acquise tente d’accélérer sa croissance avec les capitaux supplémentaires et la part de marché de l’acquéreur. De tels accords sont fréquents dans le secteur des technologies de pointe.
Scénario 3
Une société publique fait l’acquisition d’une plus petite société publique et saine. Semblable au scénario 2, l’objectif de l’acheteur du scénario 3 est d’acquérir de nouvelles compétences concurrentielles ou un éventail de produits. L’intention se voulait en soi concurrentielle et la société cible ne cherchait nullement un acheteur. En revanche, cela a contribué à convaincre le conseil de la valeur de la fusion (c.-à-d. une acquisition qui a commencé par une offre d’achat non sollicitée ou « hostile »).
Scénario 4
Une société publique fait l’acquisition d’une société publique ou privée, en difficulté. Les objectifs de l’acheteur sont d’acquérir de nouvelles compétences concurrentielles ou un éventail de produits, et de rétablir la rentabilité de la société cible. Peu importe si l’entreprise ainsi acquise avait cherché un acheteur ou pas, elle avait certainement besoin d’aide pour se remettre sur la bonne voie (c.-à-d. une société cible qui n’atteint plus ses objectifs ou qui est vouée à la faillite).
Pour chacun des facteurs — composition du conseil d’administration, rôles et dynamiques, impératifs liés à la gestion de la surveillance des nouvelles acquisitions —, le scénario 1 est considéré comme un cas typique et les différences trouvées dans les autres scénarios sont notées.
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*Johanne Bouchard est conseillère auprès des conseils, des PDG et des cadres. Elle est experte dans la composition des conseils et des dynamiques, et offre un soutien dans l’alignement des stratégies, l’efficacité des conseils et l’intégration des conseils dans les fusions. Johanne Bouchard est entrepreneure en série, elle a tenu des postes de gestionnaire de niveau C au sein d’entreprises de haute technologie dans Silicon Valley.
Ken Smith est consultant en stratégie depuis plus de 25 ans, ayant servi des entreprises canadiennes et américaines de haut niveau. Il est expert dans les stratégies et la mise en oeuvre des fusions et acquisitions, et coauteur du livre The Art of M&A Strategy (McGraw-Hill, 2012) avec Alexandra R. Lajoux, directrice générale de la gestion du savoir à la NACD.
Auteur : Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé
Ce blogue fait l’inventaire des documents les plus pertinents et récents en gouvernance des entreprises. La sélection des billets, « posts », est le résultat d’une veille assidue des articles de revue, des blogues et sites web dans le domaine de la gouvernance, des publications scientifiques et professionnelles, des études et autres rapports portant sur la gouvernance des sociétés, au Canada et dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Europe, et en Australie. Chaque jour, je fais un choix parmi l’ensemble des publications récentes et pertinentes et je commente brièvement la publication. L’objectif de ce blogue est d’être la référence en matière de documentation en gouvernance dans le monde francophone, en fournissant au lecteur une mine de renseignements récents (les billets quotidiens) ainsi qu’un outil de recherche simple et facile à utiliser pour répertorier les publications en fonction des catégories les plus pertinentes. Jacques Grisé est professeur titulaire retraité (associé) du département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Il est détenteur d’un Ph.D. de la Ivy Business School (University of Western Ontario), d’une Licence spécialisée en administration des entreprises (Université de Louvain en Belgique) et d’un B.Sc.Comm. (HEC, Montréal). En 1993, il a effectué des études post-doctorales à l’University of South Carolina, Columbia, S.C. dans le cadre du Faculty Development in International Business Program. Il a été directeur des programmes de formation en gouvernance du Collège des administrateurs de sociétés (CAS) de 2006 à 2012. Il est maintenant collaborateur spécial au CAS. Il a été président de l’ordre des administrateurs agréés du Québec de 2015 à 2017. Jacques Grisé a été activement impliqué dans diverses organisations et a été membre de plusieurs comités et conseils d'administration reliés à ses fonctions : Professeur de management de l'Université Laval (depuis 1968), Directeur du département de management (13 ans), Directeur d'ensemble des programmes de premier cycle en administration (6 ans), Maire de la Municipalité de Ste-Pétronille, I.O. (1993-2009), Préfet adjoint de la MRC l’Île d’Orléans (1996-2009). Il est présentement impliqué dans les organismes suivants : membre de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ), membre du Comité des Prix et Distinctions de l'Université Laval. Il préside les organisations suivantes : Société Musique de chambre à Ste-Pétronille Inc. (depuis 1989), Groupe Sommet Inc. (depuis 1986), Coopérative de solidarité de Services à domicile Orléans (depuis 2019) Jacques Grisé possède également une expérience de 3 ans en gestion internationale, ayant agi comme directeur de projet en Algérie et aux Philippines de 1977-1980 (dans le cadre d'un congé sans solde de l'Université Laval). Il est le Lauréat 2007 du Prix Mérite du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) et Fellow Adm.A. En 2012, il reçoit la distinction Hommage aux Bâtisseurs du CAS. En 2019, il reçoit la médaille de l’assemblée nationale. Spécialités : Le professeur Grisé est l'auteur d’une soixantaine d’articles à caractère scientifique ou professionnel. Ses intérêts de recherche touchent principalement la gouvernance des sociétés, les comportements dans les organisations, la gestion des ressources humaines, les stratégies de changement organisationnel, le processus de consultation, le design organisationnel, la gestion de programmes de formation, notamment ceux destinés à des hauts dirigeants et à des membres de conseil d'administration. Voir tous les articles par Gouvernance des entreprises | Jacques Grisé