Aujourd’hui, je partage avec vous les réflexions de Jean-François Thuot* parues dans deux articles récemment publiés dans LinkedIn. Jean-François a accepté d’agir en tant qu’auteur invité sur mon blogue en gouvernance.
Celui-ci a une longue expérience de la gouvernance, ayant œuvré au Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) pendant 18 ans, dont plus de dix ans en tant que directeur général.
Il a accepté de vous livrer ses idées sur l’acte de la prise de décision ainsi que les devoirs de prudence et de diligence de l’administrateur.
Bonne lecture. Vos commentaires sont les bienvenus.
par
Jean-François Thuot, consultant
Vous avez dit: « décider » ?
Décider, c’est déterminer une ligne de conduite qui enclenche l’action. Cette définition convient bien à ce qui est exigé des membres d’un conseil d’administration. Après tout, administrer, c’est décider.
Mais cette définition, pour opérationnelle qu’elle soit, omet la face cachée et dérangeante de la décision. Voyons laquelle.
Alors que je préparais une formation destinée aux administrateurs d’un ordre professionnel, sur la décision justement, j’ai fouillé l’étymologie du mot. Un bon dictionnaire nous apprend ainsi que le verbe « décider » vient du latin « decidare », qui veut dire « diminuer», « retrancher », « réduire »; et plus anciennement de « caedere », signifiant « couper », « abattre ».
Ainsi comprise, la décision repose sur un paradoxe. Car, pour décider, avant donc de « réduire », de « couper » –, nous devons d’abord établir, par la réflexion, une perspective d’ensemble, arpenter toutes les facettes d’une question à éclaircir, d’un problème à résoudre, d’une situation à gérer, ce qui permet d’obtenir un point de vue global issu de la prise en compte des multiples facettes d’une réalité. Ce point de vue global est indispensable pour être en mesure, dans un deuxième temps, d’étalonner les avenues possibles de l’action, puis, finalement, de choisir, de trancher en faveur de l’avenue censée être la meilleure pour s’engager.
Décider, c’est donc, nécessairement, rejeter dans l’ombre les segments de réalité qui paraissent inutiles. La réalité est réduite, diminuée, aux dimensions qui servent la décision. La décision a ainsi un prix, celui de nous conduire vers un regard moins pénétrant de la réalité.
Certes, ce processus est inévitable. Sans le travail de réduction, c’est-à-dire de sélection, pas d’action possible, sous peine d’aller dans toutes les directions, comme des poules sans têtes!
Mais cette vérité devrait inspirer au décideur une attitude : celle de l’humilité dans la prise de décision. Ayons la « décision modeste ». Le bon décideur connaît le prix de sa décision et ne s’emballe pas trop sur l’économie qu’il vient de faire.
L’humilité de l’administrateur | prudence et diligence
Dans l’esprit de notre temps, l’administrateur est imaginé comme une personne qui carbure à la performance et à l’excellence. Un athlète de la prise de décision, quoi.
Le Code civil du Québec, heureusement à l’abri des modes, adopte un autre ton en ordonnant à l’administrateur d’agir en tout temps avec… « prudence et diligence » (art. 322). Le Code civil nous permet d’approcher avec plus d’exactitude l’attitude générale que nous devrions attendre d’un membre de conseil d’administration. Cette attitude, pour rester dans l’esprit de mon article précédent sur la décision, c’est celle de l’humilité. L’humilité est d’emblée contenue dans l’origine ecclésiastique du mot administrateur, qui réfère à « premier serviteur » (comme le prêtre).
Poursuivons cette exploration.
La diligence
À tort, la diligence est comprise comme le fait de décider sans tarder. Décider avec diligence, c’est décider à temps, ce qui veut dire au moment opportun. Certains moments commandent une décision rapide, immédiate; d’autres moments requièrent de retarder la décision, car décider maintenant serait inapproprié.
Dans tous les cas, c’est une affaire de jugement.
La prudence
Dans son sens commun, la prudence consiste à agir de manière à éviter les erreurs par anticipation des conséquences de nos actes. Le Petit Larousse l’associe à la « prévoyance», la « prévision », la « sagesse ».
Dans son sens étymologique, la prudence – du grec phronêsis – désigne l’acte même de penser, rien de moins! Pour les Anciens Grecs, c’est la pensée de celui qui s’immerge dans l’action sans jamais oublier le fondement moral de celle-ci. La prudence est ainsi une « vertu pratique » nourrit de la quête du « juste milieu » : ce qu’il y a de mieux à faire, étant donné les circonstances.
Quant à l’article 322 du Code civil, la jurisprudence enseigne que l’administrateur prudent est celui qui administre au mieux de ses compétences, et donc qui a conscience de ses limites. Ce devoir suppose des obligations bien connues : assister régulièrement aux réunions du conseil d’administration, demeurer informé, surveiller et contrôler les personnes qui exercent les pouvoirs délégués par le conseil (les obligations des administrateurs, présentation du cabinet McCarthy-Tétrault).
Êtes-vous un administrateur prudent?
*Jean-François Thuot, Ph. D., ASC, Adm.A. est facilitateur stratégique pour OBNL et ordres professionnels: management associatif, affaires publiques, rédaction stratégique, formation.